mercredi 22 février 2017

Lettre du 23.02.1917

Vue de Taza, depuis le camp de la Légion. (Delcampe)


Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Taza, le 23 Février 1917

Ma Chérie,

Me voilà donc enfin fixé sur mon sort : je viens d’apprendre indirectement que ma demande de permission a été refusée. De cette façon je sais du moins que même si la guerre durait encore 10 ans j’aurais beau me faire casser les jambes, les bras ou tout ce qui est cassable, je n’aurais pas de permission. Heureusement qu’on lit tous les jours dans tous les journaux qu’au point de vue humanitaire, pour la civilisation et la générosité d’âme, il n’y a que la France qui compte ..... sans cela on pourrait réellement en douter. 
Cet échec est le plus sensible et douloureux de tous ceux que j’ai essuyés depuis que je suis au Régiment. Je n’ai pas voulu faire la demande pour éviter précisément un refus, mais je me disais que malgré mon origine allemande les autorités ne pourraient invoquer un motif tant soit peu sérieux contre moi, ayant fait mon devoir et participé, depuis fin 1915, à toutes les sorties sans exception du Groupe Mobile de Taza (1).
Enfin, cela y est, et il n’y a rien à changer, tout au moins pour le moment, mais c’est tout de même un drôle d’encouragement (2)
Je ne suis pas aujourd’hui d’humeur à écrire une longue lettre, et me réfère à ma carte d’hier, écrite à Suzette.
Mes meilleures caresses pour toi et les enfants.

Paul

P.S. Inutile de m’envoyer de l’argent ce mois-ci. Cependant, si mon mandat était déjà parti, tu supprimerais celui du mois de Mars.




Notes (François Beautier)
1) - "Groupe mobile de Taza" : il s'agit du groupe d'intervention à l'extérieur des divers camps de Taza, formé de soldats prélevés temporairement dans les différents régiments stationnés là. Paul a participé à toutes les sorties auxquelles il avait été convoqué, ce qui signifie qu'il a fait tout son devoir sans aucune exemption. Mais ce groupe est sorti beaucoup plus souvent que Paul n'y a été versé.
2) - "un drôle d'encouragement" : Paul connaît alors le même sentiment de découragement teinté de révolte que tous les Poilus qui n'avaient toujours pas eu de permission ou qui se désespéraient de ne pas en avoir assez. Les mutineries du printemps 1917 en seront l'expression.

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