vendredi 29 juin 2018

Lettre du 30.06.1918



Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

El Hamman, le 30 Juin 1918 (1)

Ma Chérie,

Nous voilà donc à la fin du 1° semestre de l’année 1918 - 6 mois passés, la moitié de l’année ! En regardant en arrière, il me semble que malgré tout le temps a vite passé, mais si je dois seulement me figurer que je dois rester encore une nouvelle année dans ce maudit patelin, je n’ose pas me représenter les détails de ces 12 nouveaux mois. Enfin, comme cette deuxième moitié de l’année va être certainement coupée par ma permission, de cette façon je passerai toujours environ 2 1/2 mois soit à Bordeaux soit à Casablanca (2), c.à.d. loin de la vie de barbot ! (3)
Tu dois être actuellement à la veille de l’évènement (4), à moins qu’il ne se soit déjà produit. Dans tous les cas ne me laisse pas attendre et donne moi sur le télégramme des nouvelles de ton état !
Je ne sais pas si tu as lu dans les journaux les articles sur la ”Nebenehe” (5), le mariage accessoire comme on a traduit le mot en France. Chaque homme pourrait avec l’assentiment de sa femme légitime fréquenter une jeune fille ou une veuve dans le but d’avoir un enfant qui serait alors élevé aux frais de l’Etat. Ce but une fois atteint, le “mariage accessoire” est rompu et tout rentrera dans l’ordre. Les journaux donnaient force détails plus ou moins piquants, mais en vérité il m’est difficile de croire que dans la prude Allemagne où l’État fait tout pour entourer le mariage d’une auréole, une institution pareille puisse fonctionner. Il y a en plus l’émancipation de la femme allemande qui, une fois mariée, n’acceptera pas cette concurrence, même sous la pression de l’Etat. Car il va sans dire que l’intimité, la bonne intelligence et l’harmonie dans le ménage seraient vite perdues - tandis que de l’autre côté on fabriquerait du “matériel humain” pour combler les vides laissés par la guerre. Si cette fabrication offre à l’homme des jouissances, il n’en est cependant pas de même avec la femme qui, surtout quand il s’agit d’une jeune fille, se verrait obligée ou bien de passer son fils à l’Etat, à l’Assistance Publique, et de se priver ainsi du bonheur maternel, ou bien se verrait exposée à passer comme “fille-mère” avec un fils naturel. Or, l’état d’esprit en Allemagne, tel que je le connais, est trop fort pour être aboli dans une seule génération. Le préjugé contre l’amour extra-conjugal est trop profondément enraciné pour qu’on puisse l’arracher d’un seul coup (6). Il s’agit donc vraisemblablement de quelques articles de journaux pris pour un fait accompli et servis au lecteur peut-être avec l’idée de “lancer” une nouveauté qui, somme toute, serait peut-être plus utile en France qu’en Allemagne, vu la faible natalité (7). Il faut enfin considérer que beaucoup de familles - dans les deux camps - se diront que ce n’est guère la peine d’élever des enfants dans le seul but de fournir de la chair à canon ...
Ici à El Hammam pas de changement ; courrier toujours extrêmement rare, de sorte que je n’ai reçu aucune lettre depuis celle du 6 Juin qui est donc vieille de presque un mois. Au point de vue politique, le nouveau poste d’El Hammam a eu quelque succès, car une bonne partie des Marocains des environs sont venus faire leur soumission (8), ont fourni des gages et se sont mis sous notre protection. Un village de “gourbis” (9) est monté à 200 m du poste et les familles qui y sont installées procèdent à la récolte. Mais ils n’ont pas encore établi un marché comme nous autres l’espérions, de sorte que les poulets et les oeufs sont extrêmement rares et les fruits complètement inconnus à El Hammam. Une première grande baraque doit être terminée ce soir et sera occupée demain par nous. C’est la première fois que je vois qu’on loge les hommes avant les Officiers et Sous-Officiers. Il est cependant à remarquer que les Officiers ainsi que les Adjudants-Chefs et Adjudants ont des tentes individuelles avec lit qui, notamment en été, sont assez confortables, surtout quand elles sont montées sous les arbres comme ici. Dans une huitaine de jours, la colonne doit venir nous ravitailler pour reprendre ensuite ses opérations aussitôt après le 14 Juillet. J’espère bien que rien ne sera changé quant à notre séjour ici, c.à.d. que la Compagnie restera à El Hammam jusqu’à fin Septembre et sera ainsi exempte des colonnes pendant l’été (10).
Notre petite Suzette aura donc 9 ans accomplis demain. Si la guerre n’était pas survenue, elle serait sans doute déjà au lycée des jeunes filles à la Croix Blanche (11), comme Georges aussi serait déjà en classe. Mais comme tout cela est maintenant bouleversé et le restera tout au moins jusqu’à la fin de la guerre, il serait très utile que tu t’occupes toi-même un peu de son instruction, aussitôt que tu seras complètement rétablie, notamment en ce qui concerne les langues. A propos, est-ce que la jeune fille de Pékin (12) ne parle pas aussi l’anglais ?
J’attends avec beaucoup d’impatience ta dépêche. Au dernier moment, je trouve encore le nom de Lucienne (13) très gentil pour une fille. Qu’en penses-tu ? Mais enfin, cela n’a aucune importance : l’essentiel est que tout se passe normalement.
Mes plus tendres baisers pour toi et les enfants. Le bonjour pour Hélène.


Paul


Notes (François Beautier, Anne-Lise Volmer)
1) - « 30 juin » : il est vraisemblable que plusieurs courriers de Paul, envoyés entre les 16 et 30 juin, ont été perdus.
2) - « à Casablanca » : si le voyage vers Bordeaux n’est pas possible du fait des attaques sous-marines allemandes. 
3) - « barbot » : ce mot d’argot désigne habituellement un souteneur, voleur, voyou frimeur. Si c’est dans ce sens que Paul l’emploie, il donne de sa fonction à l’armée une image négative (de proxénète du Maroc) qui pourrait bien recouvrir une dénonciation du caractère colonial de la guerre à laquelle il participe. Cependant une autre interprétation pourrait mieux convenir à la culture historique de Paul (et, ici, religieuse de Marthe), voire à celle du microcosme de son fortin de Légionnaires : une référence à Barbot (peut-être Jehan Barbot), commerçant protestant qui défendit seul le moulin de la Brande, sur l’île de Ré (que les catholiques voulaient prendre pour parfaire le siège de La Rochelle en 1573), en faisant croire aux assaillants, par ses tirs nombreux et ses cris variés, qu’il y avait là une forte garnison. Le petit poste isolé d’El Hammam usait en effet en 1918 du même bluff pour tenir en respect les rebelles marocains. 
4) - « l’événement » : l’accouchement, dont Paul attend la nouvelle avec impatience.
5) - « Nebenehe » : l’expression allemande Neben Ehe désigne chez Luther une « seconde union » destinée à permettre à un couple sans enfant d’accomplir tout de même sa mission divine - la procréation - en passant par une « polygamie temporaire ». Cette idée qui remonte à l'Antiquité fut reprise et popularisée en Allemagne par Carl Hermann Torges qui publia en 1916, chez Oskar Muller à Cologne, l’un de ses discours pronatalistes sous le titre complet de « Die Nebenehe als einziges Mittel zur schnellen Bildung einer neuen und kraftigen Wehrmacht und Veredelung der Sittlichkeit ; Ein Mahnruf an die Frauen » (« Le second mariage comme seul moyen pour la formation rapide d’une nouvelle et forte armée et pour l’affinement de la morale : une exhortation aux femmes »). La presse française n’a guère accordé d’attention à cette publication qui soulevait une problématique brûlante et taboue en France puisque les femmes s’étaient de fait un peu plus émancipées qu’ailleurs de l’emprise sur leurs ventres des Églises et de l’État. Par contre, la presse anglo-saxonne s’en est émue dès décembre 1917, pour des raisons morales mais aussi politiques (faudra-t-il, et comment, bloquer le renouveau démographique de l’Allemagne ?). En France, un débat de même nature, mais à usage intérieur, a agité les hautes sphères de l’État dès 1916, sur le thème de la transformation éventuelle des « marraines de guerre » en procréatrices et sur la nécessité d’organiser massivement l’accueil de migrants masculins étrangers pour compenser (« sur les fronts et les matelas ») l’hécatombe des Poilus. Il est vraisemblable que Paul ait lu dans une publication britannique un article consacré à cette problématique pronataliste et pronationaliste commune à tous les belligérants (et pas seulement de la Grande Guerre).
6) - « d’un seul coup » : sur ce point Paul fait hélas erreur de pronostic puisque le nazisme instituera la première expérience d’eugénisme à grande échelle avec les stérilisations forcées des « sous-hommes » et les fécondations sur ordre dans le but d’offrir au Führer des enfants « aryens génétiquement purs ».
7) - « faible natalité » : le problème était effectivement plus grave en France. Le nombre des femmes en âge de procréer veuves ou célibataires y dépassa les deux millions à la fin de la guerre ; le taux de natalité déjà bas en 1914 (il était de 1,8% en 1914 contre 2,6 en Allemagne) s'était complètement effondré en 1916 (0,9%, contre 1,5 en Allemagne) et n’était pas assez remonté en 1918 (1,2% contre 1,4 en Allemagne) pour compenser les décès et assurer le renouvellement des générations. 
8) - « soumission » : les rebelles pouvaient toutefois espérer obtenir par la contrainte un retournement d’allégeance.
9) - « gourbis » : habitations rustiques, faites de branchages et de terre, destinées à une utilisation temporaire ( voir la note « cagnas » à la lettre du 22 janvier 1916).
10) - « pendant l’été » : Paul espère ne pas être écarté de ce camp d’El Hammam où il attend sa permission annuelle de détente (qu’il ne compte apparemment plus voir avancée de beaucoup de jours pour motif familial exceptionnel puisqu’il l’attend à la date d’échéance régulière d’un an).
11) - « Croix Blanche » : quartier de Bordeaux où se situe le Lycée Camille Jullian, le plus proche de Caudéran.
12) - « jeune fille de Pékin » : en juin 1918 arrivèrent et s’installèrent dans l’agglomération de Bordeaux 600 travailleurs chinois volontaires affectés à la construction de l’hôpital américain de Beaudésert près du port de Bassens. Ce contingent non-militaire (il se monta pour la France entière à 140 000 travailleurs civils mobilisés par la Chine à compter de son entrée dans le camp des Alliés, en août 1917) était accompagné d’interprètes, dont vraisemblablement cette jeune fille de Pékin qui pourrait bien avoir été sous-locataire de Marthe.
13) - « ta dépêche » : le télégramme annonçant l’accouchement.
14) - « Lucienne » : pour le prénom de l'enfant à naître, Marthe n'en fera qu'à sa tête...


vendredi 15 juin 2018

Lettre du 16.06.1918



Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

El Hammam, le 16 Juin 1918

Ma Chérie,

Comme il n’y a pas encore eu de départ de courrier, j’ai retenu ma lettre du 13 et vais mettre la présente dans la même enveloppe. Car la crise du papier et des enveloppes commence à se faire sentir chez nous : il faut espérer qu’un convoi de ravitaillement (1) arrive avant le 14 Juillet tout au moins et je pense que le Groupe Mobile qui doit rentrer de la région de Timavid (2) vers le 8/10 Juillet viendra encore ici avant le 14. Voici que je commence, moi aussi, à compter avec toutes les fêtes comme la plupart des légionnaires de carrière. Ceux-ci ne parlent guère des mois et des saisons, mais prennent comme point de départ le premier de l’an, Pâques, Pentecôte, le 14 Juillet et la Noël ... 
C’est encore dimanche et le temps a l’air de vouloir se mettre à la pluie. Quelques partisans (3) qui, paraît-il, ont habité (4) autrefois ces parages, sont venus commencer la récolte de l’orge qui occupe toute la vallée et qui, en beaucoup d’endroits, est déjà mûr. Je constatais, non sans une certaine mélancolie, que c’est la quatrième fois que je vois ainsi mûrir le blé (5) au Maroc, et me demandais si c’était réellement la dernière. Mais les bicots Zaians (6), qui, sans doute, avaient compté couper eux-même l’orge, fût-ce la nuit comme les Rhiatas à Touahar (7), ont mal pris l’intervention des partisans et ont commencé à tirer sur eux sans du reste faire du mal. A la suite de cette histoire notre projecteur promenait sa lumière presque toute cette nuit sur les champs pour nous permettre de voir si les Zaians n’étaient pas au travail (8). Comme j’étais de garde cette nuit, je pouvais observer l’effet curieux des jeux de lumière sur le paysage : c’est comme une gigantesque lanterne magique qui éclaire un grand rond à un millier de mètres de distance. Le village en ruine, les champs, les rochers et le bas de la forêt apparaissent très nettement, mais on ne voyait même pas la queue d’un chat. C’est bizarre, quand même, cette tranquillité extraordinaire !
La séparation des frères Wooloughan (9) m’étonne beaucoup et je suis surpris aussi que la vieille bonne (10) soit restée avec Lucien (11). Il est certain que tous deux ont gagné pas mal d’argent avec leur affaire de Bassens (12); par contre leur commerce de charbon etc. ne leur a presque rien rapporté depuis 2 à 3 ans (13).
Les Officiers et Sous-Officiers ont été beaucoup augmentés dernièrement ; actuellement il y a une proposition de loi (14) augmentant la solde des soldats d’environ 85 centimes par jour ; mais avant que cette loi, acceptée par la Sous-Commission de l’Armée, soit votée par la Chambre et surtout appliquée, la guerre pourra facilement se terminer. Il est vrai d’autre part qu’ici à El Hammam on n’a guère besoin d’argent ; moi personnellement je n’ai besoin de rien !
As-tu pu t’arranger avec Mr. Gaussens (15) pour le paiement de l’installation du gaz au 1° étage (16)? Et Mme Robin, lorsque tu l’as revue maintenant, n’avait-elle pas encore reçu une autre réponse de Me Palvadeau ? La chinoiserie de l’affranchissement a toujours été remarquable : notamment la carte postale qui, en France, coûtait le même port qu’une lettre et qui, envoyée dans la même ville en France, ou en Australie, ne changeait pas de timbre (17).
Je suis infiniment content que les enfants soient enfin rétablis et surtout que Melle Campana (18) ne prévoit pas de suites fâcheuses pour Georges.
Bon courage, ma chérie, pour l’évènement (19), et télégraphie-moi aussitôt si tu vas bien, mais surtout, s’il y avait un danger quelconque, ne me le cache pas, je t’en supplie.
Je t’embrasse, ainsi que les enfants, du fond du coeur.

Paul



Notes (François Beautier)
1) - « ravitaillement » : le poste avancé d’El Hammam est en fait pratiquement isolé du reste des forces françaises par les rebelles. 
2) - « Timavid » : comme souvent, Paul se satisfait d’une écriture phonétique, vraisemblablement parce que Marthe ne suivait pas sur des cartes d'état-major ses divers déplacements. Il s’agit ici du poste de Timahdite, situé sur le territoire de la tribu berbère des Beni M'guild, à 40 km à vol d’oiseau à l’est de El Hammam. Ce poste a été installé par la Légion en 1915 pour contrôler le carrefour entre la haute vallée du Guigou (qui file vers le nord-est) et la route de Meknès à Boudnib traversant du nord-ouest au sud-est le Moyen Atlas par les cols d’Ito, de Foum Kheneg et de Zab. Paul a évoqué ce site, près duquel il est passé lors d’une escorte de convoi, dans sa lettre du 4 décembre 1917, pour en signaler la haute altitude (le sommet qui le domine atteint 1940 m).
3) - « partisans » : ce mot qui désigne - depuis la Révolution russe et la Résistance au nazisme - les rebelles à l’ordre établi, désignait antérieurement les adeptes du pouvoir en place. Paul, qui occupe un fortin chargé d’imposer l’ordre du protectorat français, désigne ici les Marocains qui ne se rebellent (apparemment) pas. En fait, la rébellion avait besoin de se nourrir du travail des paysans, lesquels étaient poussés par les caïds - de gré ou de force - à les approvisionner, donc à cultiver la terre et à élever leurs troupeaux comme s’ils consentaient à se pacifier. 
4) - « habité » : il semble que la tribu berbère des Beni M'guild, originaire du Sahara, ait étendu depuis la fin du Moyen Age son territoire vers le nord depuis le Tafilalt (à plus de 200 km au sud) jusqu’au col d’Ito (à une quarantaine de km au nord). 
5) - « le blé » : compte tenu des régions où il est passé, Paul a pu voir au Maroc des récoles de céréales diverses (blé dur, orge, seigle, avoine… ) et d’une pseudo-céréale (le sarrasin). 
6) - « bicots Zaïans » : les Zayanes ne sont pas des Arabes (en argot xénophobe « Bicots ») mais des Berbères. On se demande ce qui poussait Paul à s’abaisser à une telle grossièreté d’analyse : l’usure de ses capacités intellectuelles dans un milieu bien peu favorable à la réflexion, ou le désir de se « couler » dans la masse en amalgamant et méprisant les rebelles ?
7) - « les Rhiatas à Touahar » : voir la lettre du 3 juin 1917, qui décrit les paysans rebelles de la tribu des Rhiatas travaillant de nuit leurs propres champs pour échapper aux tirs des Français. Cette fois, à El Hammam, Paul observe des partisans (paysans « pacifiés ») tentant d’empêcher des rebelles (peut-être de la même tribu) de récolter de nuit leurs propres champs pour se nourrir et/ou pour les contraindre à rejoindre la rébellion (notamment en ne livrant plus de vivres aux Français). Pour la seconde fois, Paul se garde donc bien de conclure à l’évidence que l’armée française menace de famine les Marocains qui lui résistent. Et de remarquer que la guerre qu'il mène n'a rien de grand, car elle n'est que coloniale.
Sur les intentions françaises au Maroc à ce moment-là voir le très intéressant article d'Augustin Bernard, daté de l'automne 1917: https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1917_num_26_144_4023
8) - « au travail » : il s’agit pour les Français (dont Paul) d’empêcher les rebelles nationalistes marocains de s’approvisionner en vivres provenant de leur propre pays, et du même coup, de conduire les « partisans » (peu ou prou soumis temporairement ou durablement au protectorat) à combattre effectivement et ouvertement la rébellion de leurs concitoyens. La Grande Guerre au Maroc n'est qu'une classique et sordide guerre coloniale qui pousse le peuple marocain à la guerre civile. Hubert Lyautey lui-même a témoigné, dans une lettre du 28 juin 1918 à son ami le général Maurice Pellé, de cette distinction fondamentale entre la Grande Guerre et la guerre coloniale que la France menait simultanément au Maroc, en lui écrivant : «Je ne vous parle pas du Maroc, c’est vraiment trop peu important dans l’ensemble des choses... ».
9) - « frères Wooloughan » : pour la première (et dernière) fois, Paul mentionne l’existence d’un frère de son ami et collègue professionnel américain. 
10) - « la vieille bonne » : vraisemblablement la domestique âgée des deux frères.
11) - « Lucien » : sans doute l’un des deux frères Wooloughan. 
12) - « Bassens » : port de la rive droite de la Gironde, en aval immédiat de Bordeaux, où Wooloughan menait ses affaires d’importation de charbon et de pétrole. Ce port était avant-guerre spécialisé dans l’exportation de vins et l’importation de combustibles. L’armée américaine s’y installa à partir de juillet 1917 et agrandit (et encombra) considérablement les quais et appontements.
13) - « depuis 2 ou 3 ans » : la guerre a fait grimper les tarifs (notamment du fait de la réduction des importations par voie maritime résultant de la guerre sous-marine) mais réduit les profits car les marges et les volumes ont chuté (la concurrence s’est tendue, les consommateurs ont restreint leurs achats et n’ont pas renouvelé leurs stocks).
14) - « proposition de loi » : débattue le 10 mai 1918, cette loi fut finalement votée le 19 décembre 1918, donc après l’armistice, comme le craignait Paul, encore une fois remarquablement capable de prédire l’avenir en en analysant les facteurs. 
15) - « Mr. Gaussens » : sous-locataire potentiel de Marthe. Paul l’a mentionné dans sa lettre du 1er juin 1918. 
16) - « gaz au 1er étage » : voir la lettre du 1er juin 1918. 
17) - « de timbre » : depuis le 1er janvier 1917, la très complexe grille des tarifs postaux français est très simplifiée, mais le prix des affranchissements est pratiquement doublé. Alors que les tarifs pour les colis variaient en fonction du poids et de la distance, le port d’une carte postale dite ordinaire était de 0,15 F quelle que soit la distance pourvu que le pays destinataire soit membre de la Convention internationale d’échange postal. Cependant, la « chinoiserie » signalée par Paul demeurait sensible, notamment par l’existence de plus de 60 définitions de types de courriers et, pour les destinations intérieures, la conservation de différences entre le port d’une carte postale de 5 mots au maximum (0,10 F) ou de plus de 5 mots (0,15 F, soit le même affranchissement qu’une lettre pesant jusqu’à 20 g à distribuer en France).
18) - «  Melle Campana » : médecin, ou infirmière, ou garde-malade, consulté par Marthe. 

19) - « l’événement » : l’accouchement, dont Paul est persuadé de l’imminence.