mercredi 28 janvier 2015

Carte postale du 29.01.1915

Petit rappel en guise d'introduction:
Citoyen allemand installé en France depuis 1906, associé de la société L. Leconte, négociant en charbon, dont il dirige le bureau de Bordeaux, Paul Gusdorf s'est engagé pour la durée de la guerre dans la Légion Étrangère dès août 1914, dans l'espoir d'obtenir ensuite la nationalité française. Il est affecté au 1er Étranger, et d'abord envoyé à Bayonne, où il fait ses classes, avant de partir début décembre 1914 pour Lyon. Il y passe un mois avant de recevoir son affectation définitive au Maroc. Ses capacités intellectuelles et sa connaissance de la calligraphie et de la dactylographie lui ont valu, à Bayonne comme à Lyon, de confortables fonctions administratives. Il s'embarque début janvier 1915 pour l'Algérie, où de nouvelles aventures l'attendent... 
Le blog publie les lettres qu'il a envoyées tout au long de la guerre à son épouse Marthe, de nationalité allemande aussi, restée à Bordeaux avec leurs trois jeunes enfants, Suzanne, née en 1909, Georges (le futur philosophe) né en 1912, et la petite Alice, née en 1914. 

Oujda - Porte Bab el Kemis, entrée de la ville



Carte postale  Madame Paul Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Oujda, 29-1 1915

Nous voilà de nouveau prêts à partir : nous avons encore 2 jours de voyage en Chemin de fer (1). A bientôt plus longuement.

                                                 Paul

P.S. Ta lettre du 23 m’est encore parvenue à Bel Abbès. Tu oublies que nous avons un contrat avec L. (2) en bonne et due forme. On ne se séparera pas si vite que cela !

Notes (François Beautier):
- "Chemin de fer" : il s'agit d'un chemin de fer à voie étroite dont la ligne n'est alors pas achevée.
- "L." : Lucien Leconte, dont Paul est l'un des associés

mardi 27 janvier 2015

Carte postale du 28.01.1914

Petit rappel en guise d'introduction:
Citoyen allemand installé en France depuis 1906, associé de la société L. Leconte, négociant en charbon, dont il dirige le bureau de Bordeaux, Paul Gusdorf s'est engagé pour la durée de la guerre dans la Légion Étrangère dès août 1914, dans l'espoir d'obtenir ensuite la nationalité française. Il est affecté au 1er Étranger, et d'abord envoyé à Bayonne, où il fait ses classes, avant de partir début décembre 1914 pour Lyon. Il y passe un mois avant de recevoir son affectation définitive au Maroc. Ses capacités intellectuelles et sa connaissance de la calligraphie et de la dactylographie lui ont valu, à Bayonne comme à Lyon, de confortables fonctions administratives. Il s'embarque début janvier 1915 pour l'Algérie, où de nouvelles aventures l'attendent... 
Le blog publie les lettres qu'il a envoyées tout au long de la guerre à son épouse Marthe, de nationalité allemande aussi, restée à Bordeaux avec leurs trois jeunes enfants, Suzanne, née en 1909, Georges (le futur philosophe) né en 1912, et la petite Alice, née en 1914. 


Carte postale  Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

28/1/1915 

Nous voilà au Maroc, nous repartirons demain matin à 5 hs, probablement pour M’Zoum (1), Maroc Oriental. Aussitôt arrivé, c.à.d. samedi ou dimanche, je te donnerai mon adresse.
1000 baisers pour toi et les enfants.

                                                    Paul

Note (François Beautier):
1) - "M'zoun" : Paul transcrit phonétiquement un nom berbère qui s'écrit officiellement aujourd'hui en français Msoun et qui désigne une localité située à 175 km à vol d'oiseau à l'ouest d'Oujda, soit à une trentaine de km à l'est de Taza. C'est de Msoun qu'est partie en mai 1914 la reprise de Taza par l'Armée française.

lundi 26 janvier 2015

Carte postale du 27.01.1915

Petit rappel en guise d'introduction:
Citoyen allemand installé en France depuis 1906, associé de la société L. Leconte, négociant en charbon, dont il dirige le bureau de Bordeaux, Paul Gusdorf s'est engagé pour la durée de la guerre dans la Légion Étrangère dès août 1914, dans l'espoir d'obtenir ensuite la nationalité française. Il est affecté au 1er Étranger, et d'abord envoyé à Bayonne, où il fait ses classes, avant de partir début décembre 1914 pour Lyon. Il y passe un mois avant de recevoir son affectation définitive au Maroc. Ses capacités intellectuelles et sa connaissance de la calligraphie et de la dactylographie lui ont valu, à Bayonne comme à Lyon, de confortables fonctions administratives. Il s'embarque début janvier 1915 pour l'Algérie, où de nouvelles aventures l'attendent... 
Le blog publie les lettres qu'il a envoyées tout au long de la guerre à son épouse Marthe, de nationalité allemande aussi, restée à Bordeaux avec leurs trois jeunes enfants, Suzanne, née en 1909, Georges (le futur philosophe) né en 1912, et la petite Alice, née en 1914. 



Carte postale  Madame Marthe Gusdorf  22 rue du Chalet 22  
Caudéran

Bel Abbès, le 27/1/1915

Chérie,

Voilà ma dernière soirée à Bel Abbès ; demain matin à 7 hs on quittera la caserne pour coucher demain soir à Oujda (1). Pour fêter cet évènement l’ami Valentin et moi nous venons de ruiner un restaurateur israélite (2) en mangeant chacun pour 30 Frs. tout en payant 30 sous.
Mille tendresses pour toi et les gosses.

                                   Paul
Souvenir sympathique
                      V. Valentin

Notes (François Beautier):
1) - "Oujda" : petite ville du Maroc oriental, à moins de 20 km de la frontière algérienne, où l'armée française a établi en 1907 une garnison et le premier poste militaire français sur la route de Sidi Bel Abbès (Algérie) à Taza (Maroc). Cette place forte abrite le quartier général des troupes d'occupation du Maroc oriental.
2) - "israélite" :  Paul choisit cet adjectif pour désigner précisément, comme c'était l'usage à son époque, un membre du peuple originel d'Israël, sans se référer à sa religion (le plus souvent évidemment juive). Paul qui veut s'émanciper de ce peuple juif et de cette culture juive s'emploie donc ici à s'exempter du possible soupçon de se revendiquer une ascendance juive. Cependant il se montre dans une scène où il "roule" un restaurateur israélite et offre ainsi à tout lecteur lucide mais bienveillant un exemple d'humour... juif. 

dimanche 25 janvier 2015

Carte postale du 26.01.1915

Petit rappel en guise d'introduction:
Citoyen allemand installé en France depuis 1906, associé de la société L. Leconte, négociant en charbon, dont il dirige le bureau de Bordeaux, Paul Gusdorf s'est engagé pour la durée de la guerre dans la Légion Étrangère dès août 1914, dans l'espoir d'obtenir ensuite la nationalité française. Il est affecté au 1er Étranger, et d'abord envoyé à Bayonne, où il fait ses classes, avant de partir début décembre 1914 pour Lyon. Il y passe un mois avant de recevoir son affectation définitive au Maroc. Ses capacités intellectuelles et sa connaissance de la calligraphie et de la dactylographie lui ont valu, à Bayonne comme à Lyon, de confortables fonctions administratives. Il s'embarque début janvier 1915 pour l'Algérie, où de nouvelles aventures l'attendent... 
Le blog publie les lettres qu'il a envoyées tout au long de la guerre à son épouse Marthe, de nationalité allemande aussi, restée à Bordeaux avec leurs trois jeunes enfants, Suzanne, née en 1909, Georges (le futur philosophe) né en 1912, et la petite Alice, née en 1914. 




Carte postale  Madame Marthe Gusdorf  22 rue du Chalet 22  
Caudéran

Chérie, 

J’ai reçu encore aujourd’hui ta lettre du 21 et te confirme la mienne d’hier. C’est jeudi 28 courant que nous allons partir ; je laisse ma montre ici au magasin dans la valise avec le linge que j’ai de reste.
Mille baisers pour toi et les enfants.

                                        Paul

Ne fais pas autrement avec ta mère que je t’ai dit cad. en faisant (illisible) par E.S. (1)

Note (François Beautier):
1) - "E.S." : Emma Schulz, amie vivant en Suède de Marthe et de sa famille allemande. 

samedi 24 janvier 2015

Lettre du 25 janvier 1915

Petit rappel en guise d'introduction:
Citoyen allemand installé en France depuis 1906, associé de la société L. Leconte, négociant en charbon, dont il dirige le bureau de Bordeaux, Paul Gusdorf s'est engagé pour la durée de la guerre dans la Légion Étrangère dès août 1914, dans l'espoir d'obtenir ensuite la nationalité française. Il est affecté au 1er Étranger, et d'abord envoyé à Bayonne, où il fait ses classes, avant de partir début décembre 1914 pour Lyon. Il y passe un mois avant de recevoir son affectation définitive au Maroc. Ses capacités intellectuelles et sa connaissance de la calligraphie et de la dactylographie lui ont valu, à Bayonne comme à Lyon, de confortables fonctions administratives. Il s'embarque début janvier 1915 pour l'Algérie, où de nouvelles aventures l'attendent... 
Le blog publie les lettres qu'il a envoyées tout au long de la guerre à son épouse Marthe, de nationalité allemande aussi, restée à Bordeaux avec leurs trois jeunes enfants, Suzanne, née en 1909, Georges (le futur philosophe) né en 1912, et la petite Alice, née en 1914. 


Enveloppe Art Nouveau...

Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Bel Abbès, le 25 Janvier 1915

Ma chérie,

J’ai reçu aujourd’hui en même temps tes lettres des 17 et 19 courant et j’en suis particulièrement heureux car voici une grosse nouvelle : au moment où tu recevras ces lignes, je serai au Maroc ! Ne t’en effraye pas, car je ne vais point au feu, nous serons dirigés - une trentaine de poilus - sur les environs de Taza où nous sommes aussi loin de l’ennemi qu’à Bel Abbès. Et comme je n’ai que 10 jours d’instruction, tu penses bien que j’aurai à passer un grand moment avant de brûler ma première cartouche sur un Marocain. Je crois même que je vais être employé là-bas au bureau, car l’autre jour le Capitaine, qui nous accompagnera probablement, me demandait quelles langues je parlais ; il ajoutait qu’il penserait à moi dès qu’il y aurait une place de secrétaire de libre. Le Lieutenant-Colonel, lorsque je lui ai été présenté, savait aussi déjà que j’avais été secrétaire du Colonel à Bayonne. Tu peux continuer à m’écrire à la Compagnie 26A à Bel Abbès en attendant que je te communiquerai mon adresse marocaine. Et soit surtout rassurée sur mon sort, car réellement je ne risquerai rien. 
Pour ce qui concerne la galette (1), j’en ai sûrement jusqu’au milieu du mois de Mars, sauf imprévu. J’ai lu avec intérêt tes communications, et en vois que tu te débrouilles aussi de ton côté. J’en suis d’autant plus fier et heureux que je t’ai souvent dit que tu n’es pas une femme d’affaires. Quant à Mme Robin, le terme du 10 Février n’est payable que le 10 Mai au plus tôt ; tu as donc le temps. Si tu ne fais pas le versement pour les Communales 1912 (2) à la dernière date indiquée sur les obligations, nous perdons simplement le droit au tirage qui suit ; les obligations gardent cependant leur valeur. J’espère cependant que d’ici là, le séquestre aura donné tout au moins l’autorisation à la maison Leconte de te verser Frs. 500,- par mois, en attendant la levée du séquestre, telle que je l’ai demandée à l’avocat il y a environ 8 jours. Comme je te le disais, c’est Me Bonamy, Avoué, Docteur en Droit, 10 quai d’Orléans à Nantes qui est mon avocat et tu peux lui écrire directement pour renouveler ce que je lui ai dit : Du moment que par décision préfectorale ma famille peut rester à Caudéran, il est logique qu’on lui laisse les moyens d’existence, en attendant la levée du séquestre. Incluse également la notification du séquestre que tu garderas soigneusement. Si tu manques d’argent, écris de ma part à Mr. Penhoat, Rue Porsauquen à Guingamp (Côtes du Nord) ; il se fera un plaisir de t’en envoyer ; ou bien vends des obligations communales 1912, une par une ou pas plus de 2 à la fois. Elles valent actuellement 218 Frs. moins les 40 ou 50 Frs. qui restent à verser. Une (68 ...) (3) est payée en entière, c’est celle qui était en dépôt chez Mr. Wooloughan. Ce dernier t’avancera aussi des fonds ; au besoin, tu lui donneras quelques titres comme garantie. La rente espagnole te parviendra sûrement par le CNEP (4); ne t’en fais pas de mauvais sang, ainsi que pour le relevé de compte qui ne vient jamais avant commencement/milieu Février.
Je ne t’ai pas dit qu’un peu avant mon départ de Lyon, ma montre s’est arrêtée de nouveau. Comme la réparation aurait coûté près de 5 Frs, j’ai, pour ne pas être embêté, acheté une montre en acier à 4 Frs. 95 qui marche bien. Je t’enverrai peut-être la montre en argent qui est un souvenir de mon père et tu la conserveras.
Voici donc que nos affaires passent entièrement entre tes mains, comme un juste retour des choses. Tu te plaignais souvent que tu n’y eus aucune part - maintenant tu en garderas toute la charge. Et je n’en suis pas du tout mécontent au fond : je t’adore davantage parce que tu as maintenant sous tes ailes tout ce qui nous est cher. Je ne peux malheureusement pas voir les progrès de la petite Alice ni de Georges et lorsque je rentrerai, ils ne me reconnaîtront même pas ! Si tu savais combien de fois je me représente notre nid de la rue du Chalet avec les trois gosses dans leurs lits blancs et ma petite femme seule dans le nôtre ...
Ne perds pas courage, Chérie, et supporte cette séparation comme moi : je vois et sens tous les jours (et tous les soirs) de nouveau combien tu me manques à chaque instant et comme j’ai été bête de te chercher quelquefois des poils sur les oeufs.
Mille caresses pour toi et les enfants.

                                         Paul

P.S. N’oublie pas qu’en cas d’urgence tu peux me télégraphier à 5 cs le mot : Gusdorf 1° Etranger Compagnie 26 Sidi Bel Abbès. J’ai bien reçu ta lettre adressée à Lyon. As-tu le bordereau des titres de Mr. W. ?

Notes (François Beautier)
1) - "la galette" : mot d'argot militaire désignant la solde et par extension l'argent dont dispose le soldat. Chaque mois, Marthe envoie de l'argent à son mari.
2) - "les Communales" : il s'agit d'obligations émises par le Crédit foncier de France pour alimenter les prêts que l'État consent aux communes. L'émission de 1912 eut un tel succès notamment parmi les petits épargnants qu'elle fut couverte plus de 19 fois, recueillant plus de 33 millions de francs au lieu des 2 millions proposés à la souscription. 
3) - "Une (68 ...)" : la lettre du 21 mai 1915 indique qu'il s'agit de l'obligation n° 68892 des Communales émises en 1912. 
4) - "CNEP" : Comptoir national d’escompte de Paris, lequel géra pendant la Grande Guerre les emprunts nationaux d'État, dont celui de l'Espagne, dit "4% extérieur de 1907" détenu à plus de 60% par des Français, la plupart étant des petits commerçants des régions limitrophes de l'Espagne.

vendredi 23 janvier 2015

Lettre du 24 janvier 1915

Petit rappel en guise d'introduction:
Citoyen allemand installé en France depuis 1906, associé de la société L. Leconte, négociant en charbon, dont il dirige le bureau de Bordeaux, Paul Gusdorf s'est engagé pour la durée de la guerre dans la Légion Étrangère dès août 1914, dans l'espoir d'obtenir ensuite la nationalité française. Il est affecté au 1er Étranger, et d'abord envoyé à Bayonne, où il fait ses classes, avant de partir début décembre 1914 pour Lyon. Il y passe un mois avant de recevoir son affectation définitive au Maroc. Ses capacités intellectuelles et sa connaissance de la calligraphie et de la dactylographie lui ont valu, à Bayonne comme à Lyon, de confortables fonctions administratives. Il s'embarque début janvier 1915 pour l'Algérie, où de nouvelles aventures l'attendent... 
Le blog publie les lettres qu'il a envoyées tout au long de la guerre à son épouse Marthe, de nationalité allemande aussi, restée à Bordeaux avec leurs trois jeunes enfants, Suzanne, née en 1909, Georges (le futur philosophe) né en 1912, et la petite Alice, née en 1914. 




Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran


Bel Abbès, le 24 Janvier 1915

En calculant la durée du trajet à 6 jours, cette lettre doit arriver juste le 30 pour te renouveler mes félicitations et bons voeux pour ton jour. Tu as, je l’espère, déjà reçu ma précédente lettre et le colis postal. Je penserai d’une façon tout à fait concentrée à toi samedi prochain à 9 hs. du matin, heure à laquelle tu te lèves, et à 21 hs., heure à laquelle je me couche ; s’il y a du vrai dans la transmission des pensées, tu me diras dans ta prochaine lettre ce que j’ai pensé le matin et le soir.
Ta lettre du 14 m’est bien parvenue le 20 : laisse Mme L. (1) où elle est ; je suis tout de même étonné de son attitude, d’autant plus que Mr. Ledouarec avait été très gentil pour moi jusqu’au moment de mon départ. C’est peut-être le départ de son fils qui a rendu Mme L. tellement énervée ...
A propos de tes lettres, je les ai toutes reçues, mais en moyenne 6 jours après leur mise à la poste. J’ai répondu du reste à toutes et je te prie de me dire si tu les reçois maintenant régulièrement. La saison des pluies a commencé ici et il tombe de l’eau presque sans discontinuer depuis une huitaine de jours. De temps à autre le soleil fait une courte apparition, mais cela n’empêche pas que l’exercice est souvent supprimé et remplacé par des théories (2) (je préfère du thé au rhum) (3)
J’ai fait jeudi dernier la première marche militaire d’environ 20 km sous un soleil de plomb, mais dans une boue épouvantable. C’était un peu dur pour commencer, mais enfin, cela s’est bien passé tout de même, d’autant plus que c’était sans sac. Au retour, la musique est venue à notre rencontre, jouant quelques morceaux pendant une halte et nous reconduisant ensuite à la caserne. Il y a ici une Rue de la Légion, un café du même nom, un bar de la Légion etc. etc. Aussi le public est-il fort nombreux lorsque nous traversons la ville, musique ou clique en tête. Il y a ici un bon orchestre de 80 musiciens (sans compter les tambours, fifres, et clairons qu’on nomme “la clique”) et qui comprend aussi des instruments à corde. En temps de paix, la musique donne le soir des concerts au Jardin Public, et la Légion a la permission de 10 hs. du soir. En temps normal, le jeudi après midi est complètement libre, ainsi du reste que toute la journée de dimanche ; mais tout cela est supprimé maintenant, et même le dimanche matin il y a battage des couvertures et nettoyage des effets ; samedi après-midi nettoyage général des armes, et du casernement. J’ai pris hier ma première permission de minuit ensemble avec Valentin. Nous sommes allés au théâtre voir le cinéma qui n’était pas mal. Avant, nous avons dîné en ville pour 30 sous, c’était épatant et je me demande comment ces gens peuvent s’arranger à ces prix là. Tu en jugeras : Hors d’oeuvres ; bouillon ; langue braisée aux olives, côtelette grillée (et quelle côtelette) ; artichauts à l’agneau ; fruits (oranges, mandarines, poire, noix, amande, figues), fromage et café. Nous aurions pu avoir encore quelques plats de plus, mais étions pleins comme des huîtres à force de manger. Un litre de vin et pain à discrétion. Nous sommes allés ensuite dans un café arabe prendre un excellent café à 2 sous, entourés par des arabes accroupis sur des bancs autour des murs. Tous ces petits restaurants, ainsi que la plupart des magasins, sont tenus par des juifs indigènes, et je commence - tu en riras - à devenir antisémite (4). Ces juifs russes, roumains, polonais etc. que nous avons à la Légion y aident du reste puissamment : ils ne foutent rien, sont constamment malades et tirent au flanc par tous les moyens.
Je ne sais pas si Mme Devilliers, ou bien lui, ont tant de chance que cela de rester ensemble à Bordeaux, peu ou point tourmentés par cette malheureuse guerre. Je t’avoue que personnellement je regretterais plus tard de ne pas y avoir été mêlé d’une façon ou de l’autre. Et puis il manquait quelque chose dans ma vie : le séjour à la caserne. Je n’ai jamais pu obéir passivement ; je n’ai jamais ciré mes chaussures, lavé mon linge, fait mon lit, etc. etc. J’apprends maintenant ce que j’aurais dû apprendre il y a 13 ans et Hélène n’a qu’à bien se tenir si elle ne veut pas se faire donner des leçons lorsque je réintégrerai mes pénates. Il y a autre chose encore et cela te concerne aussi bien que moi. Sans adieu il n’y a pas de revoir et le revoir est tellement joli et émouvant qu’on ne doit pas trop pleurer à l’adieu. Nous avons vécu aussi tellement dans la quiétude qu’un petit rappel à la réalité ne nous fera pas trop de mal si, toutefois, il se borne à des pertes matérielles qui, je l’espère, seront bientôt réparées.
Combien as-tu payé à Mme Robin ? Ne donne plus rien en attendant la levée du séquestre. Je corresponds directement avec l’avocat, sans avoir recours à l’intelligente collaboration de Mr. Leconte. L’attitude de ce dernier vis à vis de Baboureau n’est peut-être pas aussi peu justifiée que tu le crois, surtout après les histoires de Charron et de Monfort. Ce sont des précautions dont nous parlerons plus tard. Malgré son silence, j’ai néanmoins confiance en Baboureau et je suis persuadé qu’il le justifiera. Tu auras remarqué en passant que mes employés tiennent plus à moi que tu ne semblais le croire.
Embrasse bien les enfants et ne te fais pas trop de mauvais sang pour l’avenir ; cette guerre finira peut-être plus vite que nous ne le croyons tous : ce ne sont pas les 100 m de tranchée par ci par là qui ont une influence. L’offensive viendra et elle sera foudroyante. Du reste, les dernières tentatives de l’Allemagne, notamment ce fameux raid des Zeppelins en Angleterre (5), sont des efforts désespérés ; car que pouvait-on espérer d’une pareille entreprise, sinon de stimuler les engagements volontaires en Angleterre.
Mille baisers et caresses.


                                            Paul

Notes (François Beautier)
1) - "Mme L." : Mme Ledouarec, vraisemblablement une ancienne voisine du couple Gusdorf dans Bordeaux.
2) - "des théories" : des cours de théorie militaire.
3) - "thé au rhum" : Paul s'approprie une blague de soldats ("thé au riz").
4) - "à devenir antisémite" : cet aveu dont Paul - qui est juif - souligne le paradoxe ("tu en riras") peut aussi n'être qu'une feinte. En effet Paul s'approprie ainsi le point de vue largement partagé par ses officiers (français, très rarement juifs, très généralement antisémites) à la Légion, dont il répète d'ailleurs les arguments en reprochant implicitement aux juifs indigènes d'avoir accaparé les activités économiques aux dépens des Arabes et des Français et en accusant explicitement les légionnaires juifs (cependant sans citer sa catégorie personnelle de juif allemand) d'être "tire-au-flanc" (paresseux, irresponsables). S'il s'agit d'une feinte, ce qui paraît cohérent avec la culture humaniste et le caractère tolérant de Paul, alors elle révèle qu'il a pris conscience que son courrier personnel serait secrètement lu par un officier chargé d'informer son dossier judiciaire de naturalisation et qu'il est opportun pour lui de se montrer conforme à la représentation qu'il se fait du modèle du "Bon Français", avec la touche antisémite qu'il observe autour de lui. Il se peut aussi que Paul, qui cherche explicitement à s'émanciper de son identité allemande veuille de même se libérer de son étiquette de Juif ou de juif (à l'époque on confond totalement "un juif" sans majuscule au sens d'adepte de la religion juive et " un Juif" avec majuscule -  au sens de membre du peuple juif ou de la nation juive). Enfin, il est vraisemblable que pour Paul, qui a appris en Allemagne un français littéraire précis mais assez obsolète, le mot "antisémite" signifie - comme son étymologie l'indique -  "contre les Sémites", lesquels sont constitués de plusieurs peuples dont les principaux sont les Juifs et les Arabes. Ce faisant, Paul amalgame - comme le font inconsciemment ses collègues légionnaires - ces deux peuples ainsi que d'autres du Maroc.
5) - "raid de Zeppelins" : la presse a rendu compte de ce bombardement aérien, le premier contre l'Angleterre, sur des bâtiments civils de la côte orientale, mené par deux ballons dirigeables rigides Zeppelin le 19 janvier 1915. Les engagements volontaires des Anglais s'en trouvèrent effectivement multipliés. 

lundi 19 janvier 2015

Lettre du 20 janvier 1915

Petit rappel en guise d'introduction:
Citoyen allemand installé en France depuis 1906, associé de la société L. Leconte, négociant en charbon, dont il dirige le bureau de Bordeaux, Paul Gusdorf s'est engagé pour la durée de la guerre dans la Légion Étrangère dès août 1914, dans l'espoir d'obtenir ensuite la nationalité française. Il est affecté au 1er Étranger, et d'abord envoyé à Bayonne, où il fait ses classes, avant de partir début décembre 1914 pour Lyon. Il y passe un mois avant de recevoir son affectation définitive au Maroc. Ses capacités intellectuelles et sa connaissance de la calligraphie et de la dactylographie lui ont valu, à Bayonne comme à Lyon, de confortables fonctions administratives. Il s'embarque début janvier 1915 pour l'Algérie, où de nouvelles aventures l'attendent... 
Le blog publie les lettres qu'il a envoyées tout au long de la guerre à son épouse Marthe, de nationalité allemande aussi, restée à Bordeaux avec leurs trois jeunes enfants, Suzanne, née en 1909, Georges (le futur philosophe) né en 1912, et la petite Alice, née en 1914. 



Madame P. Gusdorf 22 rue du Chalet 22  Caudéran

Sidi Bel Abbès, le 20 Janvier 1915


Ma chère petite femme,

J’espère fermement, comme je te le disais hier par carte postale, que l’arrivée de ma correspondance se fait maintenant régulièrement. Arrivé ici le 7 au soir tard, je t’ai écrit dès le 8 et ma carte doit être arrivée vers le 13/14 ; les autres lettres et cartes ont sans doute suivi de sorte que tu es maintenant pleinement rassurée sur mon sort.
Après le temps radieux, nous avons eu de la neige hier et le soleil brillait sur les branches des arbres chargés de neige, spectacle qui ne s’était pas vu ici depuis une dizaine d’années paraît-il. Depuis ce matin, le dégel a commencé et a transformé la neige blanche en boue ; comme la terre est argileuse ici, l’eau n’y pénètre que très lentement et il faudrait du vent pour sécher. Enfin cela passera aussi ! Les nuits sont très fraîches, heureusement qu’on est bien couché !
Il me fait un sensible plaisir que les gens de là-bas (1) jugent notre attitude comme elle doit être jugée ; le contraire aurait été profondément injuste, mais à vrai dire, je craignais fort que tu n’entendes par ci par là un mot blessant de la part de nos voisins qui, surtout d’après Mme Devilliers (2), ne sont pas précisément des gens de tact. Je lis journellement l’ “Écho d’Oran” et de temps à autre les journaux de Paris qui arrivent ici avec 6/7 jours de retard. Le Figaro publiait l’autre jour un article “Son Gendre” contre le duc Ernest-August de Braunschweig (3) à qui il a suffi de devenir le gendre de Guillaume II pour piller un château et d’envoyer des collection de dentelles et de soie à sa femme. L’article, que j’avais si bien mis de côté pour toi que je ne le retrouve pas, disait beaucoup de bien du vieux Duc de Cumberland, ainsi déshonoré par son fils. Quant aux atrocités allemandes, il vaut mieux ne pas en parler. Les nombreux déserteurs alsaciens ont été dirigés ici sur Bel Abbès et sur Saïda (4) où se trouve le 2° Etranger. Il y en a un jeune homme dans ma chambre, originaire des environs de Mulhouse (5) et qui connaît même nombre de personnes là-bas dont je me rappelle encore. Dès le début de la guerre il a été incorporé bien que n’ayant que 18 1/2 ans. Après une instruction de 3 mois à la caserne de Wissembourg (6), il a été dirigé sur le front d’où il s’est évadé en Décembre après un mois dans les lignes françaises. D’après lui le moral des troupes allemandes a singulièrement changé depuis le début de la guerre et ce n’est point avec mépris qu’on parle de l’armée française dans les tranchées allemandes. 
Que notre fille cadette fait déjà tout le tour de la maison, est en effet un grand progrès. Dans 2/3 mois tu seras donc tout de même un peu plus libre !
As-tu vu Baboureau entretemps ? Je n’ai pas eu une seule ligne de lui depuis que je suis à Bel Abbès, c.à.d. depuis quinze jours demain. Cela m’étonne d’autant plus qu’il ne doit pas avoir beaucoup de travail, car les Chemins de Fer français ne reçoivent rien  depuis quelque temps.
J’ai fait dimanche après midi une promenade solitaire dans les environs. Il n’y a dans ce pays que des vignes et des oliviers en dehors des champs et jardins produisant les légumes. Le Régiment possède également de grands jardins qui produisent presque tous les légumes pour le Corps. Les jardiniers sont naturellement des légionnaires. Il existe aussi tout près des murs un joli Jardin Public avec des arbres ombrageux, des cascades et de jolis bosquets. Ce qui est souvent répudiant ici, ce sont les masures misérables des arabes qui se contentent souvent d’une seule pièce pour toute la famille. Et quelle pièce ! On croirait plutôt une écurie qu’une habitation humaine. Notre chambre de 27 hommes comprend entre autres un nègre californien, Jim Jonny, boxeur assez connu et grand ami de Sam Mac Vea (7); un nègre jaune de La Réunion ; un arabe demi-civilisé (8), un Égyptien, un Suisse, un Espagnol, des Belges, des Alsaciens et quelques Allemands. Comme Français il n’y a guère que 2 ou 3 dans la chambrée, dont un qui a plus de 12 ans de Légion. Ces vieux légionnaires se débrouillent dans toutes les langues, même en arabe. Souvent on les entend crier et commander dans un jargon qui fait rire les plus mélancoliques : Cela, c’est à Ich (9)! Mettez les bancs sur le Tisch (10)!
Voilà le 30 Janvier (11) qui approche, et comme je veux éviter que mes voeux et félicitations arrivent en retard, je te les présente aujourd’hui déjà. Et par rapport à mes maigres ressources et l’impossibilité de trouver ici quoi que ce soit, je t’adresse un colis postal avec quelques fruits du pays. Ce n’est que pour te rappeler que je pense à toi plus souvent que jamais et que je compte fermement que nous fêterons ce jour mémorable l’année prochaine dans d’autres conditions qu’anno 1915 (12). Je t’embrasse longuement en attendant de pouvoir faire mieux.
Un baiser aussi pour nos petits.

                                                Paul

Notes (François Beautier, Anne-Lise Volmer)
1) - "les gens de là-bas" : sans doute l'entourage bordelais de Marthe; mais cette formule pourrait aussi désigner de façon discrète, voire codée, la famille de Marthe restée en Allemagne. 
2) - Les Devilliers avaient été pensionnaires de Marthe à l'automne 1914, leur logement ayant été loué à des membres du gouvernement replié à Bordeaux, et Mme Devilliers avait dû entendre les voisins tenir des propos aigre-doux sur sa logeuse...
3) - "Ernest-August de Braunschweig" : ce membre de la Maison de Hanovre, arrière petit-fils du roi d'Angleterre Georges III et fils du prussophobe duc de Cumberland réfugié en Autriche, s'est fait prussophile pour épouser la fille du kaiser Guillaume II et prendre le titre de duc de Brunswick.  Paul, qui est originaire du duché de Brunswick a déjà exprimé son regret que, la Prusse ayant annexé ce duché en 1866, le Reich l'ait intégré en 1871. Manifestant son parti pris prussophobe, il présente les frasques de ce duc prussophile comme si son beau-père, l'Empereur d'Allemagne Guillaume II, en partageait la responsabilité, au grand dam de son père le duc de Cumberland, prussophobe selon la presse française prompte à mettre en lumière les moindres tensions internes du camp ennemi (en 1917 le roi d'Angleterre George V lui confisqua tous ses titres et honneurs britanniques parce qu'il soutenait en fait l'Allemagne).
4) - "Saïda" : camp d'entraînement d'artillerie situé à 80 km au sud-est de Sidi Bel Abbès, devenu siège d'un régiment de la Légion.
5) - "Mulhouse" : première ville d'Alsace du Sud, industrielle, francophile, où Paul vécut de 1904 à 1906 avant de s'installer en France, à Nantes, puis à Bordeaux. 
6) - "Wissembourg" : ville du nord de l'Alsace, aujourd'hui frontalière de l'Allemagne, alors siège d'une garnison allemande.
7) - "Sam Mac Vea" : champion de boxe noir américain, connu en France parce qu'il  abandonna après 49 rounds un combat à Paris en 1909 face à Joe Jeanette. Son soit-disant ami Jim Jonny n'a pas laissé de trace historique accessible.
8) - "un arabe demi-civilisé" : Paul, se conformant à la règle personnelle qu'il semble s'être fixée, n'accorde pas à "un Arabe" - de même qu'à  "des Juifs" ou à "un Nègre" -  la majuscule qu'il donne à "les Allemands" ou à "un Alsacien" : être ou ne pas être officiellement constitué en peuple ou nation paraît être son critère de différenciation  logique. Ce faisant, il écrit les mots "arabe", "juif" et "nègre" exactement comme le font alors massivement les soldats français, la plupart inconscients de la xénophobie et du racisme qu'ils expriment ainsi implicitement. 
9) - "à Ich" : "à je".
10) - "le Tisch" : "la table"
11) - 30 janvier" : anniversaire de Marthe, que Paul ne manque jamais de souhaiter à l'avance.
12) - "anno 1915" : Paul utilise la référence annuelle des archives officielles pour traiter en affaire déjà classée ce que le couple endurera en 1915. Façon de dire que la guerre durera encore mais qu'elle ne changera rien à leur union ? 



dimanche 18 janvier 2015

Carte postale du 19 janvier 1915



Carte postale Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

19/1/14
Je viens de recevoir ta lettre du 12 cour.; quant à ma correspondance, je pense que depuis le 14 tu l’as régulièrement reçue, car les lettres mettent 5 à 6 jours. Ci-contre l’entrée de notre caserne ; la 26A (1) loge dans un bâtiment aussi grand à gauche de la grille d’entrée.
A bientôt une lettre plus longue
Mille baisers pour toi et les enfants.


                                                        Paul

Note (François Beautier)
1) - "26A" : matricule de la compagnie à laquelle Paul appartient.

samedi 17 janvier 2015

Lettre du 17 janvier 1915

Petit rappel en guise d'introduction:
Citoyen allemand installé en France depuis 1906, associé de la société L. Leconte, négociant en charbon, dont il dirige le bureau de Bordeaux, Paul Gusdorf s'est engagé pour la durée de la guerre dans la Légion Étrangère dès août 1914, dans l'espoir d'obtenir ensuite la nationalité française. Il est affecté au 1er Étranger, et d'abord envoyé à Bayonne, où il fait ses classes, avant de partir début décembre 1914 pour Lyon. Il y passe un mois avant de recevoir son affectation définitive au Maroc. Ses capacités intellectuelles et sa connaissance de la calligraphie et de la dactylographie lui ont valu, à Bayonne comme à Lyon, de confortables fonctions administratives. Il s'embarque début janvier 1915 pour l'Algérie, où de nouvelles aventures l'attendent... 
Le blog publie les lettres qu'il a envoyées tout au long de la guerre à son épouse Marthe, de nationalité allemande aussi, restée à Bordeaux avec leurs trois jeunes enfants, Suzanne, née en 1909, Georges (le futur philosophe) né en 1912, et la petite Alice, née en 1914. 



Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22 Caudéran

                      Dimanche
                       Bel Abbès le 17-1 1915 
 
Chérie, 

Tu trouveras ci-joint copie de ma lettre à Mr. Leconte ainsi que 4 lettres de mon ami Penhoat. Tu en verras que les relations avec Nantes continuent à s’empoisonner de plus en plus : sois donc prudente dans ta correspondance avec Mme Leconte ! Au fond je m’en fous de toutes ces histoires autant que Mr. Penhoat car L. aura plutôt besoin de nous que nous de lui. Prière de conserver soigneusement les 5 lettres et copies ci-jointes.
Il est 13 1/2 hs. et le soleil radieux remplit toute la cour de la caserne. Devant les fenêtres, les grands arbres de la cour laissent voir le ciel bleu sans nuage : depuis mon arrivée ici, il n’est pas tombé une goutte d’eau ; les routes dehors sont blanches et poudreuses et ce matin, lorsque nous sommes allés battre les couvertures, nous avons attrapé une jolie suée. La plupart des camarades sont sortis après le déjeuner qui était tout endimanché aujourd’hui : Hors d’oeuvres (sardines, olives, cornichon et beurre), potage, boeuf rôti, salade de pommes de terres, mandarines, biscuits et vin. Quelques-uns bricolent dans la chambre tandis que je fais ma correspondance, tout en fumant force cigarettes. L’ami Valentin a eu un jour de consigne ce matin pour être venu en capote au rapport. Il a néanmoins trouvé une combinaison (1) pour sortir, mais elle pourra lui coûter huit jours de salle de police. Comme il va entrer à l’orchestre la semaine prochaine, il s’en moque un peu.
Nous avons été présentés jeudi individuellement au Capitaine et hier au Colonel. Le Capitaine, un Alsacien, connait aussi l’Allemagne ; il est vraiment humain et s’inquiète de tout ce qui concerne ses hommes.
Les citoyens (2) Jaquet et Antoine sont belges (3) et sont donc restés à Lyon. Quant à Singer (4), il était bien entré au bureau comme fourrier, mais il semblait peu à l’aise et malgré sa répugnance pour Bel Abbès, je suis persuadé qu’un jour ou l’autre il y débarquera.
La ville de Bel Abbès offre bien peu d’attraits : les boutiques sont plutôt misérables ; j’ai cherché hier soir un petit souvenir sans rien trouver du tout en dehors des vulgaires articles de bazar. Je pense que d’ici un mois ce sera la floraison ici dans le pays : l’été commence le 1° Mai, ou plutôt l’été militaire, car à partir de ce jour on nous laisse sortir en tunique - que tout le monde a touché ici, alors qu’à Bayonne seuls les sous-officiers les possédaient. Ce qu’il y a de mauvais ici c’est l’eau qui est pompée d’un puit et qui a un drôle de goût, tout en étant filtrée et bonne suivant les dires des médecins. Mr. Fort m’a adressé ses voeux de Nouvel An ; je lui avais envoyé une carte dès mon arrivée ici. Plusieurs de mes amis anglais m’ont également écrit chaleureusement ; mais la mention dans ma lettre à Nantes n’a été faite que pour faire enrager notre GA (5).
Que deviennent les enfants ? Georges doit bien parler maintenant. As-tu sevré complètement Alice et comment le supporte-t-elle? Si la dite visite t’ennuie, sa régularité me fait plutôt plaisir (6); mais tâche tout au moins de la renvoyer le jour de la rentrée triomphale (7). Je reste toujours optimiste quant à la date de celle-ci : le changement de ministre en Autriche (8), la douceur de la presse allemande et la confiance des autorités militaires françaises sont bon signe. Il faut naturellement que le beau temps revienne pour frapper le grand coup, mais ce dernier arrivera aussi sûrement que le beau temps.
Je t’embrasse ainsi que les enfants du fond du coeur.

                                                        Paul

Notes (François Beautier, Anne-Lise Volmer)
1) - "combinaison" : Paul préfère ce mot à celui de "combine", plus familier.
2) - "citoyens" : façon familière de désigner des gens dont on partage le sort, ici des recrues de la Légion passées par le camp de Bayonne. 
3) - "belges" : la neutralité de la Belgique ayant été violée par l'Allemagne, le royaume belge est de fait en guerre aux côtés des Alliés. Ses ressortissants engagés dans la Légion étrangère française sont donc affectés sur les fronts français en Europe.
4) - "Singer" : légionnaire de nationalité "ennemie" (allemande ou austro-hongroise ?), cependant affecté en métropole, dans un poste non-combattant (fourrier, loin du front, à Lyon).
5) - "GA." : initiales désignant Lucien Leconte, qui est à Nantes; Paul mentionne dans la lettre qu'il lui a écrite les manifestations de soutien qu'il reçoit de la part de ses amis. 
6) - "la dite visite" : manière codée de parler des cycles menstruels de Marthe, qui n'est donc pas enceinte.
7) - "rentrée triomphale" : auto-dérision de Paul s'imaginant revenir en héros chez lui à Caudéran.
8) - "ministre en Autriche" : il s'agit de Stephan Burian von Rajecz, plus souple que son prédécesseur démissionnaire et plus favorable à des concessions à l'Italie, nommé le 13 janvier 1915 ministre commun des affaires étrangères des royaumes d'Autriche et de Hongrie.

  

vendredi 16 janvier 2015

Lettre du 15 janvier 1915

Petit rappel en guise d'introduction:
Citoyen allemand installé en France depuis 1906, associé de la société L. Leconte, négociant en charbon, dont il dirige le bureau de Bordeaux, Paul Gusdorf s'est engagé pour la durée de la guerre dans la Légion Étrangère dès août 1914, dans l'espoir d'obtenir ensuite la nationalité française. Il est affecté au 1er Étranger, et d'abord envoyé à Bayonne, où il fait ses classes, avant de partir début décembre 1914 pour Lyon. Il y passe un mois avant de recevoir son affectation définitive au Maroc. Ses capacités intellectuelles et sa connaissance de la calligraphie et de la dactylographie lui ont valu, à Bayonne comme à Lyon, de confortables fonctions administratives. Il s'embarque début janvier 1915 pour l'Algérie, où de nouvelles aventures l'attendent... 
Le blog publie les lettres qu'il a envoyées tout au long de la guerre à son épouse Marthe, de nationalité allemande aussi, restée à Bordeaux avec leurs trois jeunes enfants, Suzanne, née en 1909, Georges (le futur philosophe) né en 1912, et la petite Alice, née en 1914. 



Madame Paul Gusdorf  22 rue du Chalet 22 Caudéran

Bel Abbès, le 15 Janvier 1915


Ma chère petite femme,
Ta lettre du 6 courant m’est parvenue aujourd’hui via Lyon, celle du 8 est arrivée déjà hier matin. J’espère comme toi que tu vivras en paix pour le reste de la guerre, car la mention du commissaire (1) indique clairement que le préfet s’est occupé de la question et celui-ci aura probablement consulté le ministre. Comme je te le disais sur ma carte, je vais maintenant tous les jours à l’exercice ; j’ajoute même que je commence à y prendre goût, à tel point que je ne veux faire aucune démarche pour me faire embusquer (2). On va tout au plus à 2 à 3 km de la ville, quelquefois seulement en dehors du mur ou sur la place de la mosquée pour l’exercice. Départ à 7 hs., juste à temps pour voir le lever du soleil dans un ciel de pourpre et d’azur. L’entraînement se fait méthodiquement : on commence sans arme ni bagage ; toutes les 30 minutes une pause de 10 mn. On est en costume de toile blanche avec la ceinture bleue et le fusil. Peu à peu on travaille plus longuement et on fait des marches militaires de 18/20 km, le maximum sur les mauvaises routes de l’intérieur. Mais comme je suis dans les bleus (3) de la 1° semaine, j’aurai au moins jusqu’à fin Mars, commencement Avril avant d’être bien exercé. Les gradés sont généralement très humains ; il n’y a que certain sergent d’origine allemande qui hurle de temps en temps “Bande de Schafskoppe” (4) tout en s’étouffant de rage, mais c’est plutôt une exception. Par contre, nous avons peu de temps à nous. On est continuellement à bricoler et surtout à faire de l’ordre et de la propreté. 
Réveil à 5.45 ou 6 hs., on prend le café sucré avec du pain, puis on fait le lit de telle façon que le matelas en laine, les draps et les couvertures sont bien exposés à l’air, on nettoie sous le lit, range ses affaires sur la planche en dessus du lit, on se débarbouille et on descend dans la cour pour partir à 6.45 ou 7 hs. Rentrée à 9.30. Rapport dans la cour, distribution des lettres, épluchage des pommes de terre pour tout le monde ; à 10.30 hs. la soupe. Après, on refait son lit règlementairement, on nettoie ses effets et ses armes et fait une courte sieste, on lit son journal, étendu sur le lit. Il y a aussi souvent à midi revue des effets, des chaussures ou des armes. Dans l’après-midi à 12 hs. rassemblement pour le départ. S’il n’y a pas d’exercice on va aux douches, qui sont vraiment jolies. Pour 2 hommes une cabine, carrelée et bien installée. Ou bien, il y a corvée de lavage des effets, linge, treillis (costume de toile) aux grands lavoirs de la caserne. Ou bien, lorsqu’il pleut, théorie dans les chambres. À 16.30 hs., rentrée de l’exercice, nouveau rassemblement, rapport et soupe. Après la soupe on est libre jusqu'à 21 hs. Chaque soldat a droit à 2 permissions de minuit la semaine. La caserne contient deux bibliothèques, une salle de jeux, une salle de bains, des boucheries etc. etc. Lorsqu’il y a marche dans l’après-midi, nous avons aussi le soir 1/4 de vin. Je te cite par exemple le menu de ce matin : Soupe à la semoule ; viande de boeuf rôti froid ; choucroute garnie de lard ; artichauts à l’huile ; compote de figues ; vin. La nourriture est suffisante et il arrive tout au plus que je mange le soir à la cantine un bout de camembert avec un verre de vin. Ce dernier coûte 25 cs. le litre, mais il est défendu d’en apporter dans les chambres. Il est du reste très facile ici d’attraper des punitions, soit qu’on est en retard, soit qu’on ne soigne pas ses affaires ou qu’on se saoule etc. Tu rirais aux larmes en me voyant faire ma vaisselle ou cirer mes chaussures. Hier j’ai même lavé mon treillis, mais généralement je donne mon linge à un légionnaire.
Mr. Penhoat a été à Paris la semaine dernière et m’écrit qu’il est à notre entière disposition si nous avons besoin d’argent. L. (5) devient de plus en plus étrange dans son attitude de sorte que j’envisage sérieusement avec Penhoat de le laisser en plan après la guerre. Je te parlerai demain ou dimanche plus longuement à ce sujet.
Je t’embrasse, toi et les enfants, bien longuement.


                                              Paul

Notes (François Beautier)
1) - "commissaire" : il s'agit vraisemblablement du commissaire de police de Caudéran chargé de délivrer le permis de séjour de Marthe.
2) - "se faire embusquer" : se faire nommer dans un poste tranquille, hors de danger.
3) - "les bleus " : les nouvelles recrues.
4) - "Schafskoppe" : ? (serait-ce de l'alsacien ?) = Crânes de moutons ?
5) - "L." : L. Leconte, dont Paul et Penhoat sont les associés. 

mercredi 14 janvier 2015

Carte postale du 15 janvier 1915



Carte postale  Madame Marthe Gusdorf  22 rue du Chalet 22 Caudéran

15/1/1915

J’ai reçu hier la lettre du 8 et te répondrai ce soir plus longuement. Comme je vais maintenant régulièrement à l’exercice, mon temps libre est plutôt limité.
Mille baisers pour toi et les enfants.

                                       Paul



lundi 12 janvier 2015

Lettre du 12 janvier 1915

Petit rappel en guise d'introduction:
Citoyen allemand installé en France depuis 1906, associé de la société L. Leconte, négociant en charbon, dont il dirige le bureau de Bordeaux, Paul Gusdorf s'est engagé pour la durée de la guerre dans la Légion Étrangère dès août 1914, dans l'espoir d'obtenir ensuite la nationalité française. Il est affecté au 1er Étranger, et d'abord envoyé à Bayonne, où il fait ses classes, avant de partir début décembre 1914 pour Lyon. Il y passe un mois avant de recevoir son affectation définitive au Maroc. Ses capacités intellectuelles et sa connaissance de la calligraphie et de la dactylographie lui ont valu, à Bayonne comme à Lyon, de confortables fonctions administratives. Il s'embarque début janvier 1915 pour l'Algérie, où de nouvelles aventures l'attendent... 
Le blog publie les lettres qu'il a envoyées tout au long de la guerre à son épouse Marthe, de nationalité allemande aussi, restée à Bordeaux avec leurs trois jeunes enfants, Suzanne, née en 1909, Georges (le futur philosophe) né en 1912, et la petite Alice, née en 1914. 

Gare d'Oran, De style néo-mauresque (style Jonnart), elle fut dessiné par l'architecte Albert Ballu et construite par l'entreprise des frères Perret, lors de la colonisation française. Son architecture reprend les symboles des trois religions du livre. Ainsi son aspect extérieur est celui d'une mosquée, où l'horloge a la forme d'un minaret; les grilles des portes, fenêtres et plafond de la qoubba (dôme) portent l'étoile de David; alors que les peintures intérieures des plafonds portent des croix chrétiennes. (Wikipédia)
Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22 Caudéran

Sidi Bel Abbès, le 12 Janvier 1915

Chérie,
J’ai reçu la lettre du 5 et je t’ai répondu dès ce matin par carte postale. Notre voyage de Lyon à Marseille s’est effectué dans de très bonnes conditions dans des compartiments bien chauffés et confortables du PLM (1). Du café au rhum, des sandwichs, des cigarettes et des fruits nous ont été distribués en cours de route par la Croix Rouge et d’autres sociétés (2). Partis lundi soir 21 hs. de Lyon, nous sommes arrivés à Marseille mardi matin à 8 hs. Nous avons été conduits aussitôt au Fort St Jean à l’entrée du Vieux Port et de là, le soir, au S/S Sidi Brahim (3) qui nous a transportés en 36 hs. à Oran. La mer était assez agitée mardi soir, mais calme le lendemain ; malgré cela 95% des poilus avaient le mal de mer. Valentin et moi nous nous sommes débrouillés pour avoir une cabine moyennant de 6 Frs. chacun. Les autres étaient mal logés dans l’entrepont, avec des zouaves (4) dirigés sur Tlemcen (5). Arrivée à Oran le jeudi matin à 4 hs. Dès 4 hs. 30, on nous a conduits au Fort Ste Thérèse, d’où nous n’avons pu sortir toute la journée. On y avait une vue splendide sur la mer, le port et les montagnes qui s’avancent jusqu’à la Méditerranée et abritent le port. 
C’est à 17 hs. que nous sommes allés à la gare splendide d’Oran, construite entièrement en style mauresque jusque dans les plus petits détails. Je n’ai jamais vu une aussi jolie gare : elle est située au milieu d’un square, planté de palmiers et de plantes exotiques. Les fenêtres sont comme les vitraux de vieilles églises, et même les guichets, le buffet et les cabinets sont sculptés ou bâtis en style mauresque. Le voyage de 3 hs. Oran-Sidi Bel Abbès était pénible dans les wagons à bestiaux. Aussitôt après le coucher du soleil, il fait bien froid, ce qui est doublement désagréable après la chaleur du jour. A 20 hs. nous avons fait une entrée triomphale à Bel Abbès. C’est une petite ville composée moitié par les Européens, moitié par les arabes. Elle est entourée d’un mur en pierre, construit par la Légion, il y a une soixantaine d’années (6) comme défense contre les indigènes qui, aujourd’hui, ne pourraient guère se passer des Européens. Ce mur est percé de plusieurs portes, celles d’Oran, de Mascarah (7) et de Daya (8) en sont les plus jolies. La ville est quelconque : elle contient de jolies maisons tout à fait modernes à côté des taudis arabes qui au lieu d’une porte n’ont qu’une espèce de tapis. A l’intérieur on voit les arabes assis par terre, travaillant ou causant. Dans les rues, on voit des toilettes chics à côté des burnous (9) déguenillés que portent les arabes fiers comme des rois. Il y a cependant aussi par ci par là des costumes arabes brodés richement d’or. En dehors des murs se trouvent de jolies villas européennes, une belle mosquée et le village nègre (10) qui ne contient que des bordels, tenus par des mauresques (11). Il est consigné à la troupe, car les femmes sont complètement pourries, paraît-il. Des squares et jardins, plantés de beaux palmiers, embellissent Bel Abbès dont la principale beauté est son soleil riant. Mais qu’est-ce qu’il doit faire ici comme chaleur en été, grand Dieu !!! En face de notre quartier se trouve la caserne des spahis (12), dont les officiers portent des uniformes splendides.
Je suis content que tu aies pu retirer sans difficulté les titres. Prie donc Mr. Wooloughan de faire attention aux coupons et de les faire payer par sa banque. Les actions du CNEP et de la Banque de Paris et des Pays-Bas doivent payer en Janvier et tu dois encaisser certainement une centaine de francs ce moi-ci. Ce que je ne comprends pas, c’est ton humiliation devant Mme Robin. Comme tu le vois sur la coupure ci-jointe du “Journal”, nous n’avons pas besoin de payer le terme (13) du 10 Novembre et celui du 10 Février avant le 10 Avril 1915 au plus tôt s’il n’y a pas une nouvelle prorogation de 90 jours = 3 mois. C’est donc Mme Robin qui devrait être humiliée de demander le paiement avant échéance. Comme déjà dit, tu peux lui payer 175 Frs en attendant que le séquestre soit levé, ce qui, paraît-il, est assez long, vu les nombreuses formalités à remplir.
Je suis persuadé qu’avec le retour du beau temps, les opérations militaires seront menées rapidement. Les 400/500 000 hommes mobilisés contre l’Italie (14) peuvent être employés contre les Allemands et les 700 000 Anglais qui arrivent vont également faire de la bonne besogne.
     Mille baisers

                                           Paul

Une grosse bise pour les enfants.


Notes (François Beautier)
1) - "PLM" : train de la ligne Paris-Lyon-Marseille
2) - "d'autres sociétés" : trois organisations liées à la Croix Rouge Française sont très présentes dans les points de passage massivement fréquentés par les soldats : la Société Française de Secours aux Blessés Militaires (SBM), l'Association des Dames Françaises (les infirmières) et l'Union des Femmes de France. 
3) - "S/S Sidi Brahim" : Paul, courtier maritime, utilise l'abréviation "s/s" de l'expression anglaise "Steamer Ship" pour désigner le bateau à vapeur français baptisé Sidi Brahim en hommage à la bravoure des quelques combattants français qui affrontèrent à Sidi Brahim, en 1845, les troupes finalement victorieuses du chef nationaliste algérien Abd El-Kader.
4) - "zouaves" : fantassins des unités d'infanterie légère de l'Armée française en Afrique. Le corps des zouaves fut créé en 1830 par l'incorporation d'indigènes, notamment des Kabyles (peuple berbère), dans les troupes de conquête de l'Algérie.
5) - "Tlemcen" : capitale de l'Ouest algérien, à 50 km de la frontière orientale du Maroc.
6) - "une soixantaine d'années" : le général Bugeaud - conquérant de l'Algérie - fit édifier les remparts par la Légion en 1843. 
7) - "Mascarah" : aujourd'hui Mascara, à 80 km à l'est de Sidi Bel Abbès.
8) - "Daya" : aujourd'hui Ghardaïa, à près de 500 km au sud-sud-est de Sidi Bel Abbès.
9) - "burnous" : manteau long traditionnel, en laine, avec capuche.
10) - "village nègre" : expression populaire désignant les campements provisoires  improvisés, constitués de baraques et huttes végétales construites en marge des casernements militaires par des tenanciers de commerces et services non officiels destinés aux soldats.
11) - "mauresques" : il s'agit en fait précisément des femmes berbères des confins septentrionaux du Maroc et de l'Algérie. Paul, au contraire de la plupart des soldats, ne confond donc pas "une Mauresque" (femme maure) et "une femme arabe" voire "une femme maghrébine ou nord-africaine". Mais il néglige la majuscule attendue à "une Mauresque", peut-être parce qu'il n'existe pas alors de nation maure officiellement constituée. 
12) - "spahis" : cavaliers indigènes recrutés en Algérie pour la conquête du pays à partir de 1830. Leur recrutement s'étendit au Maroc à partir de 1886. 
13) - "le terme" : l'échéance des loyers, reportée de 3 mois selon le moratoire décrété le 5 août 1914, est de nouveau reportée de 90 jours... 
14) - "mobilisés contre l'Italie" : l'Italie alliée à l'Autriche-Hongrie depuis 1887 se garde bien d'entrer  en guerre à ses côtés et se laisse secrètement courtiser par la Triple-Entente qui obtient qu’elle n’attaque pas la France et rejoigne les Alliés le plus tôt possible. La presse des Alliés annonça plusieurs fois, notamment début janvier 1915, l'imminence de cet engagement espéré qui ne se réalisa que le 23 mai 1915 lorsque l'Italie déclara la guerre à l'Autriche-Hongrie.