jeudi 29 mars 2018

Carte postale du 30.03.1918

Carte postale Paul

Carte postale  Monsieur Georges Gusdorf  22 rue du Chalet 22  
Caudéran

Aïn Leuh, en Mars 18

Mon cher petit Georges,

Mes voeux les plus sincères pour ton 7° anniversaire; surtout bonne santé, et que tu sois bientôt complètement rétabli de ta mauvaise maladie. Je t’envoie ci-joint un billet de 5 Frs. pour lesquels tu achèteras avec Maman quelque chose qui te fera plaisir. Et surtout écris-moi bientôt si tu fais des progrès. 

Un gros baiser pour toi, Maman, Suzi et Ali; le bonjour pour Hélène.


                                                                                            Papa

mercredi 14 mars 2018

Lettre du 15.03.1918



Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Aïn Leuh, le 15 Mars 1918

Ma Chérie, 

Ainsi que je te l’annonçais par ma carte postale du 13, nous sommes arrivés ici avant-hier, reprendre garnison. Malheureusement je suis toujours sans tes nouvelles et comme le courrier via Meknès n’arrive ici que tous les 3 jours pour repartir le lendemain, je ne peux avoir une lettre que ce soir au plus tôt. Comment vas-tu et comment vont les enfants ? Les 2 petits sont-ils enfin complètement rétablis de leur rhume et Georges a-t-il cessé de tousser ? Suzanne a sans doute vite rattrapé le terrain perdu à l’école. Je serais bien content de recevoir une copie exacte de ses dernières notes. 
Notre marche de Meknès à Aïn Leuh (1) s’est effectuée dans de meilleures conditions qu’on aurait pu prévoir après la semaine de pluies torrentielles. Toutefois le terrain était bien détrempé pendant les deux premières étapes, mais le temps était sec et beau. La première étape, de Meknès à El Hadjeb, (32 à 33 km) a été la plus dure - je ne sais pas pour quelle raison - pour presque tout le monde. Moi particulièrement, j’ai été rarement aussi fatigué que ce jour là et si je n’avais pas eu la bonne fortune d’attraper un mulet et faire ainsi 2 heures en cavalier, je crois que j’aurais dû monter sur une des arabas (2) du convoi. Enfin, ces deux pauses à mulet m’ont complètement remis et j’ai très bien marché les jours suivants. Dans la région d’Ito, en abordant le plateau qui est plus élevé qu’Aïn Leuh (3), nous avons trouvé beaucoup de neige et le changement de température se faisait durement sentir. Ici, la forêt est encore blanche, mais le poste même et ses abords immédiats sont complètement dégagés. Cependant, le vent est frais et il y a une grande différence avec le climat de la plaine de Meknès. Nous allons rester ici peut-être 1 mois à 1 1/2 mois, puis les colonnes vont sans doute commencer vers la fin du mois d’avril. Il paraît que nous allons être presque tout l’été dehors pour construire des postes devant assurer la communication avec le Sud, c.à.d. la région de Bou Denib (4), la haute Moulouya (5) - que sais-je ! Inutile de te dire que nous ne sommes pas du tout impatients de reprendre le large, surtout nous autres engagés pour la durée de la guerre. Nous attendons tous “le miracle”, celui qui doit amener la paix et on entend souvent des réflexions de ce genre : “Le jour où la paix sera signée, je me saoulerai comme jamais de ma vie ...” “Le jour de la paix, je ne lèverai plus une pelle ...” Ah là là, que de bonnes intentions ou d’illusions qui se réaliseront Dieu sait quand ... Car pour le moment, on est réduit ici aux seuls communiqués qui laissent croire que le tir est définitivement interdit au front (6) ... Et cette grande offensive ne se fera peut-être jamais, vu les sacrifices énormes qu’elle exigerait ... Pas de courrier de France, ni journaux depuis presque 15 jours ...
Enfin, cela y est, voilà tes lettres des 24 et 27 Février avec celle de Me Palvadeau (7). J’ai attendu jusqu’au dernier moment de sorte que je suis forcé maintenant de faire vite pour que ma lettre parte ce soir ou plutôt demain matin avec le courrier. J’ai télégraphié aussitôt à Me Palvadeau “Accepte acte cession Leconte” pour ainsi en finir de cette histoire. Car une fois en possession de mon argent, j’attendrai le vieux renard (8) qui, le cas échéant, devra m’attaquer ! C’est du reste le même texte que celui de l’acte passé avec Mr. Penhoat. L’essentiel est que le paiement de ta pension reprenne aussitôt et sous ce rapport j’attends avec impatience tes nouvelles ultérieures.
Laisse-moi finir pour le moment pour que cette lettre parte ; je t’écrirai demain plus longuement (9). Le cas échéant, tu peux indiquer Mr. Penhoat comme nous ayant prêté de l’argent ; tu te mettras simplement d’accord avec lui sur le montant à indiquer (800 à 1000 Frs.)
Mille baisers pour toi et les enfants.


Paul


Notes (François Beautier)
1) - « Meknès à Aïn Leuh » : ce trajet d’une centaine de km au sol prend trois jours pour les colonnes se déplaçant à pied et une journée pour les auto-camions et voitures, faute d’une bonne route à travers le piémont du Moyen Atlas, par El Hajeb, le col d’Ito, la Forêt des Cèdres, et Azrou. 
2) - « arabas » : mot turc désignant le traditionnel char à bœufs couvert. 
3) - « plus élevé qu’Aïn Leuh » : impression fausse puisque le col d’Ito grimpe à 1428 m d’altitude alors que le casernement d’Aïn Leuh se situe à un peu plus de 1500 m d’altitude. Cette impression s’explique sans doute par la forte proximité de sommets dépassant les 2000 m au-dessus de la vallée où s’étire le village d’Aïn Leuh, étagé de 1350 à 1600 m. 
4) - « Bou Denib » : en fait Boudnib, porte du désert du Maroc oriental en direction du Sahara algérien, sur le versant sud du Haut Atlas, à 220 km au sud-est d’Aïn Leuh. C’est à l’époque un site que la France consolide pour en faire l’un des points clés de la stratégie de Lyautey consistant à empêcher les différents groupes rebelles marocains de se réunir dans le secteur de Khénifra (qui tient le carrefour des axes reliant les deux Maroc, l’Oriental et l’Occidental) et à couper en deux le « bloc berbère » (rebelle) par un axe tenu par les Français à travers le Moyen Atlas entre Meknès et Boudnib.
5) - « haute Moulouya » : la haute vallée de l’oued Moulouya, au sud et à l’est de Khénifra, est en effet l’enjeu des stratégies opposées des Berbères et des Français, les premiers pour se regrouper, les seconds pour les en empêcher. 
6) - « interdit au front » : la victoire des empires centraux établie par les paix du 3 mars avec la Russie puis du 18 avec la Roumanie, a pu laisser croire en un endormissement de la guerre. Cependant cette illusion cachait la préparation des grandes offensives souhaitées finales du printemps 1918.
7) - « Me Palvadeau » : avocat de Paul, auprès du tribunal de Nantes qui gère le séquestre de ses biens et notamment de ses parts du capital de la société L. Leconte.
8) - « le vieux renard » : L. Leconte, qui avait suspendu le paiement à Marthe de la pension qu’il s’était engagé à lui verser au titre de participation de Paul aux bénéfices de la société.
9) - « longuement » : la lettre annoncée n’a pas été conservée.

lundi 12 mars 2018

Carte postale du 13.03.1918

Carte postale Paul

Carte postale  Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

le 13/3 18

Ma Chérie,

Nous sommes arrivés aujourd’hui à Aïn Leuh (1), notre départ de Meknès ayant été retardé de 2 jours. Nous y avons réintégré nos anciens casernements. Mais quelle différence de température ! A Ito (2) nous étions dans la neige.
Je t’écrirai plus longuement demain pour le courrier partant d’ici le 16. Je suis toujours sans tes nouvelles depuis ta lettre du 21 Février.
1000 baisers pour toi et les enfants.


Paul


Notes (François Beautier)
1) - « Aïn Leuh » : pour une description de ce poste militaire montagnard, voir la lettre de Paul datée du 25 novembre 1917.
2) - « Ito » : nom du col à près de 1500 m d’altitude par lequel passe la route de Meknès à Azrou via El Hajeb.

mercredi 7 mars 2018

Carte postale du 08.03.1818

Région d'Aïn Leuh, vallée d'Ifrane

Carte postale  Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

le 8-3-18

Ma chérie,

Il pleut à torrents, c’est réellement le temps rêvé pour partir demain!
Bons baisers,

Paul


mardi 6 mars 2018

Lettre du 07.03.1918



Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Meknès, le 7 Mars 1918

Ma Chérie,

J’ai ta lettre du 21 écoulé et tes journaux jusqu’au 28 ; de mon côté je te confirme mes lettres des 1° et 4 et mes cartes des 2, 3, et 6 (1), les dernières adressées aux enfants. Ton énervement et tes alertes pour des choses en somme futiles sont sans aucun doute les suites de ton état de grossesse. Tu m’avais pourtant dit et répété aussi dans tes premières lettres après mon départ que tu supporterais beaucoup plus facilement l’année que celles qui précédaient ma permission. Voilà seulement 4 mois que je suis parti et tu es déjà aussi déprimée qu’il y a un an, après 36 mois de séparation. Il faut quand même réagir un peu contre ton pessimisme et ne pas te laisser envahir si facilement par l’abattement complet : car quoiqu’on puisse croire, à en juger par les journaux, il n’est guère possible que la guerre s’éternise encore ... Mon camarade Kern (2), qui est rentré il y a une huitaine de jours, après un mois de voyage, est plein d’optimisme et offre n’importe quel pari que la guerre se terminera cette année. Les “grosses têtes” qu’il a vues à Paris n’ont, d’après lui, guère d’espoir de remporter “la victoire”, même Mr. Delahaye, l’exterministe officiel (3), qui, paraît-il, a une opinion privée presque opposée à celle qu’il professe à la Chambre. Ces Messieurs n’ont que cet espoir de “tenir plus longtemps que l’Allemagne”. C’est joli, hein ? D’un autre côté, K. (4) rapporte qu’il s’est formé à Paris une société au capital de 5.000.000 Frs. ayant pour objet “le rétablissement des relations économiques avec les Empires Centraux après la guerre”. Cette société ne ferait pas de réclame ne de propagande pour le moment, mais le gouvernement ne se serait pas opposé à sa constitution. Elle aurait acheté au prix de 500 000 Frs. l’hôtel particulier d’un peintre hongrois très connu à Paris pour y arranger après la guerre des conférences économiques. Kern a même visité l’immeuble en question qui contiendrait une salle superbe en style gothique dans laquelle un grand nombre de tableaux de valeur dudit peintre est exposé. La chose peut paraître invraisemblable, mais Kern m’affirme la rigoureuse authenticité (5) du fait. Après tout, il est logique que les relations économiques seront reprises, même assez promptement, et si une partie de la population y reste plus ou moins longtemps hostile, il ne reste pas moins vrai que rien que pour la question du prix beaucoup de gens seront contents de voir revenir la fameuse camelote ... (6)
Je t’enverrai demain encore quelques vues de Meknès assez intéressantes. Je ne t’ai pas encore dit que dans plusieurs grands postes de l’Occidental (7) (dont Meknès et Oued Zem (8)) les tirailleurs sénégalais vivent en famille. Les femmes sont même pour la plupart très belles (quant au corps) et presque chaque ménage a une ribambelle d’enfants. C’est la première fois que je vois ces ménages ; il paraît que le Sénégalais fait beaucoup plus de service de cette façon-là. Ils ont logés dans des marabouts, mais non en toile, laquelle est remplacée par de la paille qui forme un toit pointu au-dessus des murettes très hautes, munies de petites fenêtres. Chaque marabout, divisé par des séparations légères en plusieurs compartiments, abrite ainsi 2 à 4 ménages.
Merci pour “La Vague” (9) qui est en effet un peu trop violent comme langage, genre Brizon quoi. C’est peut-être même cet excès de langage qui a écarté les Brizon et Raffin Dugens (10) du “Journal du Peuple” (11). Pourtant Mayeras, Blanc, Foyer et même Werth propagent les mêmes idées sans pour cela recourir à des expressions aussi extrêmes. As-tu lu un numéro du quotidien “Oui” (12) lancé par le Canard Enchaîné ? Ce dernier continue à me plaire beaucoup avec son ironie souvent très fine et sa façon malicieuse de dénoncer les faits et les choses. Est-ce que tu le lis régulièrement ?
Je m’étonne que Georges, qui avait si bien commencé ses études, les abandonne maintenant d’une façon aussi complète. Est-ce qu’il tousse toujours ? Et a-t-il engraissé un peu depuis qu’il est debout ? Alice est donc également enrhumée ? Tu subis vraiment toutes les épreuves - comme si c’était un fait exprès de ne rien t’épargner ... Ah, la fin de la guerre ... Il n’y a que cela à espérer !
Nous allons remonter après-demain, le 9, à Aïn Leuh (13); prière donc de changer l’adresse. Le temps est devenu franchement mauvais, nous aurons probablement de la pluie en route, et puis il fait froid là haut !
Mille baisers pour toi et les enfants.

Paul


Notes (François Beautier)
1) - « 2, 3 et 6 » : les courriers des 2 et 6 n’ont pas été conservés.
2) - « Kern » : ami et collègue de Paul, il réside à Paris et en revient de permission. 
3) - « Mr. Delahaye, l’exterministe officiel » : Jules Delahaye, député de 1889 à 1893 puis de 1907 à 1919 (il sera ensuite sénateur de 1920 à 1925), dut cet humoristique surnom à ses longs discours haineux visant les juifs, les pacifistes, les bureaucrates, les ministres, les socialistes, les banquiers, etc., qu'il vouait tous à la peine de mort. Porte-parole infatigable du nationalisme, il jugea le traité de Versailles beaucoup trop favorable à l’Allemagne. 
4) - « K. » : Kern.
5) - « authenticité » : l’Histoire n’a pas conservé trace de cette société favorable à la relance des relations économiques avec les peuples des empires centraux. Cependant son existence est d’autant plus crédible que l’hôtel particulier du 53 avenue de Villiers à Paris, appartenant alors à la baronne Édouard de Marches, veuve remariée en 1867 au peintre académique et mondain d’origine hongroise Mihaly « Munkacsy » Lieb (1844-1900) servait avant-guerre de lieu de rencontre aux élites libérales de France et d’Europe centrale.
6) - « camelote » : marchandise de faible qualité fabriquée avant-guerre par les pays d’Europe centrale et vendue à bas prix en Europe occidentale. 
7) - « l’Occidental » : le Maroc occidental.
8) - « Oued-Zem » : poste militaire, en bordure sud-ouest du Pays zayane (« Zaër Zaïane »), en position symétrique de celui de Meknès par rapport à ce bastion rebelle, que les troupes favorables au protectorat français doivent alors contourner.
9) - « La Vague » : hebdomadaire « de combat pacifiste, socialiste et féministe » (selon son sous-titre) fondé en 1918 par le député pacifiste de l’Allier Pierre Brizon qui le dirigea jusqu’à sa mort en 1923. 
10) - « Raffin Dugens » : prénommé Jean-Pierre, ce député socialiste et pacifiste de l’Isère partageait avec Pierre Brizon la profession d’instituteur, la passion de la paix et le goût pour les formules incisives, qui émaillent notamment leurs articles dans La Vague. 
11) - « Journal du Peuple » : quotidien fondé en 1916 par Henri Fabre (1876-1969) pour diffuser les idées du socialisme révolutionnaire (ce courant deviendra communiste en 1920 puis sera dénoncé par le Parti communiste français en 1922). Les journalistes Lucien Werth, Charles Rappoport, Barthélémy Mayéras, Alexandre Blanc, Lucien Le Foyer, et d’autres, tous socialistes internationalistes, collaborèrent à ce journal qui disparut en 1922 lorsque Henri Fabre décida de se consacrer exclusivement au développement de l’hebdomadaire « La Corrèze républicaine et socialiste » qu’il avait fondé en 1918 avec son ami Pierre Laval.
12) - « Oui » : ce quotidien dont le titre était l’antiphrase du « Non ! » qui résumait le contenu de la plupart de ses articles, fut lancé par l’hebdomadaire « Le Canard enchaîné », à titre expérimental et éphémère, en 1918. 
13) - « Aïn Leuh » : poste de la Légion, en montagne, à 70 km à vol d’oiseau au sud de Meknès. Le courrier suivant permet d’évaluer à deux jours la durée du trajet à pied. 


vendredi 2 mars 2018

Carte postale du 03.03.1918



Carte postale  Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22 Caudéran

Meknès, le 3/3 18

Ma chérie,

Je profite de mon dernier dimanche à Meknès (noyé comme je suis dans mon travail) de t’envoyer quelques vues de la Ville. Voici la plus grande des fontaines dont je t’ai parlé. Malheureusement toute la partie supérieure et notamment la merveilleuse bordure est couverte par l’ombre.
Mes meilleures tendresses pour toi et les enfants. Le bonjour pour Hélène.


Paul