vendredi 29 avril 2016

Lettre du 30.04.19

Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran
Victoria Louise de Hohenzollern


Taza, le 30 Avril 1916

Ma Chérie,

En te confirmant ma carte d’hier, je reviens aujourd’hui sur ta lettre du 18 et t’accuse en même temps réception de celle du 23 arrivée ce soir même. Tu as tort de t’inquiéter tant que cela pour la question des mandats, car le cas échéant, tu sais toujours où trouver de l’argent. Mais Leconte, je pense, continuera aussi régulièrement ses envois, car d’après moi il a quand même un certain intérêt à rester en bons termes avec moi.
Je suis surpris de ce que tu dis au sujet du dentiste. 30 frs la dent contre 5 M (1) que tu as payés autrefois ! Je suppose que ce sont les premiers dentistes qui demandent ces prix d’amateurs, tandis qu’au Louvre dentaire par exemple cela ne doit pas être aussi cher ! Mon ami Danty avait un parent ou une parente qui était établi comme dentiste aux Allées de Tourny, à gauche en venant de la comédie et presque à côté du deuxième grand comestible. Enfin, quel que soit le prix, je serai content que tu fasses faire l’opération et qu’en te revoyant tu sois “au complet”. Je t’envoie ci-joint une coupure de l’Echo de Paris parlant du droit des Allemands de plaider en France (2) et je crois que c’est à la suite de cela que Me Bonamy a tout d’un coup cessé toute correspondance. Mais comme il n’a pas non plus répondu à Mr. Penhoat on est forcé de conclure qu’il est l’instrument du Gd (3). De toute façon, s’il n’est pas mobilisé, il a agi très mal ! 
Penhoat est actuellement au repos près de Dunkerque et ne semble pas trop souffrir de la guerre. Tu penses que ce n’est pas en termes amicaux qu’il parle du Père Leconte !
La vie ici continue son cours monotone et sans joie. On est plutôt ouvrier que soldat et notre ancien colonel avait bien raison en disant l’autre jour à un de mes camarades que 15 ans de Légion c’est 15 ans de cantonnier. Il y avait ce matin une alerte : on disait que les bicots étaient entrés au Camp Gouraud (4) à Taza et nous fûmes rassemblés en toute hâte. On nous distribuait un casse-croûte, mais à peine partis nous fîmes demi-tour. L’affaire était déjà terminée et se résumait en ceci que les Marocains, installés sur une montagne, tiraient sur des Tazis (5) et des soldats travaillant à l’autre côté de la ville. Ils s’étaient retirés après quelques coups de canon. 
Si à l’occasion tu trouvais une grammaire espagnole tu serais bien aimable de me l’envoyer, mais ne te dérange pas exprès pour cela. Je m’aperçois en effet que le petit bouquin est insuffisant et que pour les déclinaisons etc. il ne donne aucun renseignement. Il existe en Allemagne une excellente méthode (Gaspay Otto Sauer) (6) qui coûte 2 M pour apprendre les différentes langues avec prononciation etc. et j’espère que quelque chose de semblable existe aussi en français. La carte de Pâques de Suzette ne contenait pas de fautes, sauf un ^ qui manquait.
Tu ne m’as plus parlé des obl. Amazone (7), mais je pense que notre ami s’en occupe. C’était Mr. Grange (8) qui me les avait recommandées dans le temps et il en possédait lui-même un gros paquet. As-tu vu entretemps l’avocat ? Je suis curieux de connaître son avis !
Je te retourne enfin la carte de ta soeur ; du moment qu’elles (9) pensent à ces petites choses-là, elles ne doivent manquer de rien.
Mais enfin, le duc Ernest August de Cumberland (10) doit se dire qu’il n’a pas fait une bien brillante affaire avec son mariage ! Au début de la guerre les journaux parlaient souvent de lui ; maintenant il doit s’occuper plutôt de sa famille que de l’armée.
Mes plus tendres baisers pour toi et les enfants.

                                                   Paul


L’article sur Guillaume II t’intéressera également .



Notes (François Beautier)
1) - "5M" : 5 marks (ce qui équivalait avant le début de la guerre à 6,25 francs)
2) - "à plaider en France" : Paul aurait-il l'intention de porter lui-même sa demande de levée de séquestre ? Le journal "L'Écho de Paris" du 21 avril 1916 publia un article rappelant que d'après l'arrêt du 20 avril 1916 les "Austro-Allemands" étaient autorisés à plaider en France selon le décret du 27 septembre 1914 et les circulaires du Garde des Sceaux de février et mars 1916. La librairie des Recueils Sirey a publié à Paris en 1916 le livre de 192 pages d'Edgar Troimaux titré "Séquestres et séquestrés ; les biens austro-allemands pendant la guerre" auquel on peut se reporter pour éclairer la situation faite aux biens de Paul Gusdorf.
3) - "du Gd." : du Grand (sobriquet de Leconte).
4) - "Camp Gouraud" : l'un des camps militaires de Taza, nommé en hommage à Henri Gouraud (1867-1946), qui s'illustra au Maroc en 1911 puis en tant que général au poste de Commandant de troupes du Maroc occidental (dont le siège est à Fès), et particulièrement dans la région de Taza où son groupe mobile venu de Fès participe à la reprise de la ville à la mi-mai 1914. Dès le début de la Grande Guerre il fut envoyé au front en métropole à la tête de la 10ème Division d'Infanterie Coloniale. Les rebelles ont-ils plusieurs fois tiré de loin sur ce camp, par exemple le 30 avril 1916.
5) - "les Tazis" : nom de la tribu berbère de la région de Taza. Depuis leur pacification forcée le 16 mai 1914 les Tazis sont considérés comme des traîtres collaborant avec les Français par les tribus marocaines refusant le protectorat.
6) -  "Gaspay Otto Sauer" : cette entreprise allemande publiait une série infinie de petits livrets de conversation en langue étrangère (les "Konversations-Grammatik Methode") concernant le russe, le tchèque, l'italien, l'espagnol, l'allemand, le swahili, etc. rédigés en allemand, italien, espagnol, français, etc.
7) - "les obl." : les obligations de l'emprunt national d'Amazonie (dont Paul disait dans sa lettre du 6 mars 1916 son espoir que la France en obtienne le paiement des coupons impayés).
8) - "Mr. Grange" : ?
9) - "elles ne doivent" : les sœurs et la mère de Marthe.
10) - "de Cumberland" : Paul, en bon anglophile, donne au gendre de l'empereur d'Allemagne Guillaume II son titre anglais, alors qu'il est connu sous son titre allemand de duc Ernest-August von Braunschweig (ou "de Hanovre"). Son épouse, Victoria-Louise de Hohenzollern (ou "de Prusse", devenue par ce mariage Duchesse de Brunswick) tient le devant du couple depuis le début de la guerre en étant devenue l'égérie de la politique nataliste du Reich : elle a déjà 2 enfants en 1916 (elle s'est mariée en 1913) et court à travers l'Allemagne pour fonder ici des centres de protection des nouveaux-nés, là des expositions à l'intention des jeunes filles sur les joies de la maternité. Son époux, pendant ce temps, s'occupe au Palais de leurs deux garçons...

jeudi 28 avril 2016

Lettre du 28.04.1916

Document prouvant que Paul s'est engagé dès les premiers jours de la guerre


Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22 Caudéran

Taza, le 28 Avril 1916

Ma Chérie,

Ta lettre du 24 Mars avec tes voeux pour mon anniversaire m’est parvenue hier par le petit détour de l’Egypte (1). Comme tu peux le constater sur l’enveloppe ci-jointe, ta lettre, probablement collée contre une autre, est arrivée au Caire (Cairo) le 4 Avril et a filé ensuite par Casablanca à travers tout le Maroc Occid. à Taza. Comme je te disais déjà, ton colis est arrivé à temps dans un excellent état. Ce n’est qu’après lecture de ta lettre du 24/3 que je comprends différents passages de tes correspondances ultérieures. Et je me rappelle aussi maintenant avoir laissé la nappe (2) à documents dans le petit meuble américain au bureau, parce que notre coffre américain était trop étroit. C’est dans cette mappe que se trouvent aussi les bilans et contrats de la maison ; mais comme tu le dis toi-même, il est peut-être préférable de ne pas la chercher maintenant pour éviter des histoires avec L. Quant à Mme Robin, elle n’a qu’à aller au Greffe du Tribunal de Commerce de Bordeaux (à la Bourse) pour se renseigner d’une façon officielle que je suis associé de la maison. Comme je suis présent sous les drapeaux, nous bénéficions du moratorium (3) et n’avons point besoin  de payer le loyer pendant la guerre. Que Mme R. (4) se débrouille donc seule ; elle devrait être contente déjà d’avoir touché plusieurs trimestres que tu n’étais pas obligée de payer. Quant à l’acacia, c’est en effet nous qui, suivant les termes de notre bail, devons nous en occuper. Je ne pense pas que ma bicyclette s’abîme davantage au bureau qu’à la maison, à la seule condition qu’elle soit à peu près propre et un peu graissée. 
En main également tes lignes du 16 courant, avec tes réflexions mélancoliques sur la vie en général et la tienne en particulier. Que veux-tu que je te dise, ma pauvre petite femme ? C’est une mauvaise, une bien mauvaise passe que nous traversons - comme tous les autres. Moi, personnellement, je suis arrivé à un tel point d’abrutissement que je ne vois plus que notre propre sort, sans trop m’arrêter à la situation générale. Et si je n’avais pas le beau souvenir de tant de “leuchtende Tage” (5) que nous avons passés ensemble, si je ne me réjouissais pas de les avoir vécus au lieu de pleurer qu’ils sont passés, j’aurais déjà souvent perdu tout mon courage. Derrière un mur et avec un seul arbre lointain dont la saison fait pousser et faner les feuilles tour à tour, on peut être plus heureux et content que dans le plus beau paysage ... J’espère toujours que les quelques rares lueurs de la paix qu’on aperçoit çà et là à l’horizon ne sont ou ne restent pas qu’une illusion et que cette année 1916 verra la fin des hostilités. Que la vie après soit dure, je n’en doute pas, mais après tant d’épreuves, cela ne pourra être qu’un grand soulagement. 
Je suis content aussi que tu aies les enfants avec toi qui, non seulement t’égaient un peu, mais te donnent aussi pas mal de préoccupations. C’est juste cet éveil des sentiments entre frère et soeur que j’aurais bien voulu observer ...
Mr. Penhoat a demandé par lettre recommandée des explications à L. (6) le sommant de lui donner des éclaircissements sur les affaires que L. ferait pour son propre compte. Comme tu le penses bien, Bx n’a bien entendu pas fait 22 000 Frs. en 1915. En 1914, j’avais déjà plus que cela lorsque la guerre éclata (7)!
Je suis curieux de connaître la réponse de l’avocat lorsque tu seras allée le consulter s’il peut s’occuper de nos intérêts. Je pense que tu as reçu promptement ma lettre avec recommandations diverses et ma coupure de l’Echo d’Oran.
Mes meilleurs baisers pour toi et les enfants, le bonjour pour Hélène.

                                                 Paul

Je n’ai plus maintenant de ces feuilles arabes (8)!



Notes (François Beautier, Anne-Lise Volmer)
1) - "Égypte" : toujours revendiquée par l'Empire ottoman, l'Égypte est sous influence anglaise depuis 1882 et sous protectorat britannique depuis le 18 décembre 1914. La Grande Bretagne s'en servit, entre décembre 1915 et mars 1916, de base arrière pour ses opérations sur Gallipoli. Et c'est au Caire, dans les bureaux du renseignement britannique, qu'est née la Grande Révolte Arabe

de juin 1916 à laquelle Thomas Edward Lawrence a attaché son surnom de "Lawrence d'Arabie".
2) - "mappe" : dossier, liasse, "chemise"... 
3) - "moratorium" : il s'agit du moratoire sur les loyers, décrété le 5 août 1914.
4) - "Mme R." : Mme Robin, propriétaire du logement loué par les Gusdorf à Caudéran.
5) - "Leuchtende Tage" : jours lumineux (jours heureux).
6) - "Bx." : le bureau de Bordeaux de la société Leconte, dont Paul, était le responsable. 
7) - "lorsque la guerre éclata" : depuis lors Paul est parti sous les drapeaux mais le bureau qu'il dirigeait à Bordeaux a continué à fonctionner, avec un chiffre d'affaire vraisemblablement accru du fait de la forte hausse des cours du charbon. Paul estime donc que le bénéfice de 1915 aura largement dépassé les 22 000 francs réalisés en moins d'une année en 1914.

8) - "feuilles arabes" : il s'agit de feuillets calligraphiés, montrant des passages du Coran, que Paul avait ramassés lors d'une colonne dans un village bombardé et envoyés à Marthe en lui demandant de les conserver précieusement, les comparant aux pages illuminées des Bibles médiévales manuscrites qu'il avait admirées à Wolfenbüttel dans sa jeunesse.

mercredi 27 avril 2016

Carte postale du 28.04.1916

Carte postale Paul Gusdorf

Carte postale  Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

le 28 Avril 1916

Chérie,

J’ai bien reçu ta lettre des 18-19 courant à laquelle je répondrai demain ou dimanche. S’il te reste encore de mes chaussettes en coton, tu seras bien aimable de m’en envoyer 2 à 3 paires. L. (1) utilise donc ses connaissances acquises à Bordeaux ! enfin, tu sais toujours de cette façon ce qui t’importait de savoir.
Mes meilleurs baisers pour toi et les enfants ; un bonjour pour Hélène.

                                                Paul


Note (François Beautier)
1) - "L." : Leconte.



vendredi 22 avril 2016

Lettre du 23.04.1916

Tirailleur sénégalais en uniforme kaki
Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Taza, le 23 Avril 1916

Chérie,

Nous voilà arrivés à Pâques et comme par suite de notre récente sortie le tour de garde a changé, je me trouve aujourd’hui libre, ce qui n’est pas dommage. Il fait du reste bien beau aujourd’hui et si le temps ne se gâte pas je vais aller faire cet après-midi une promenade dans les Jardins et jusqu’à la Gare où l’on a ouvert maintenant un buffet qui sert, paraît-il, à boire et à manger. On commence maintenant ici aussi à changer la tenue de drap, l’ancien stock doit probablement être épuisé. C’est ainsi que notre escouade a touché hier des capotes neuves de différentes nuances, depuis le bleu horizon jusqu’au bleu gris. Si ces capotes ont l’avantage d’être pourvues de nombreuses poches, notamment 2 sur la poitrine, elles sont par contre très salissantes. Nous avons touché en même temps des pantalons-culottes, couleur presque noir, gris-bleu, à porter avec des bandes molletières de la même couleur. Il durera naturellement assez longtemps jusqu’à ce que tout le monde soit en possession des nouvelles frusques. Parmi les Officiers et même les Sous-Officiers, la tenue vert-kaki, genre anglais, devient de plus en plus fréquente mais chez eux on voit énormément de fantaisie. Les Officiers des Spahis et Tirailleurs notamment - et surtout les indigènes algériens qui peuvent monter jusqu’au grade de Capitaine et même de Commandant - ont toujours des uniformes splendides, bien que peu pratiques. 
J’espère qu’à défaut de la famille Penhoat tu auras aujourd’hui au moins la visite de Mme Plantain et de Georgette. N’as-tu plus revu Mr. et Mme Diet (1)? L’histoire de la voisine chez le dentiste est peu banale ; n’est-ce pas le même qui avait fait venir l’autre jour les gosses pour leur faire voir des chats ?
L’Echo d’Oran annonce aujourd’hui la prise de Trébizonde (2) par les Russes et l’arrivée de troupes russes en France (3), sans cependant signaler des évènements de quelque importance sur le front occidental. Ici il persiste néanmoins le sentiment que la guerre sera terminée en Automne. Cela n’empêchera naturellement pas que nous autres nous verrons encore du pays cet été et il n’est point impossible que nous allons partir en colonne encore au courant de cette semaine. Pour ce qui concerne la marche, je suis content que je supporte maintenant la fatigue beaucoup mieux. Il est vrai qu’en partant j’emporte toujours pas mal de victuailles, des oeufs durs, du chocolat, du fromage etc. et je ne bois presque plus d’eau en marchant.
Officieusement nous apprenons qu’il y aura dans une huitaine encore un changement d’Officiers chez nous. Il paraît que notre nouveau Capitaine va partir également pour la France et que des Officiers venant du front vont arriver ici. Mon ami Valentin (4) a profité de l’envoi d’un de ses amis à Taza pour m’envoyer un mot et m’annoncer qu’il partira prochainement pour Salonique (5). A Bel Abbès aussi il n’y a plus que des hommes déjà revenus de Grèce ou de Turquie et rétablis de leurs blessures. Même les musiciens partent peu à peu, comme c’est juste du reste.
A l’instant me parviennent tes lettres des 12 & 14, avec le petit mot de Suzanne. Tu peux avoir raison sur les motifs qui ont amenés la nouvelle enquête (6) qui est naturellement toujours embêtante pour toi,  mais une des suites désagréables de l’état de guerre. Tes progrès en anglais m’étonnent ou me surprennent réellement ; mais je suppose que les 2 pages t’ont coûté au moins 45 minutes ? Bien entendu il s’y trouve des fautes - cela est tout naturel - mais tout de même ! C’est plutôt la tournure des phrases qui trahit le débutant. You do not enter the English language, but you study or learn it not by Miss Holt but with her or in Miss Holt’s (school).* Après la bataille de Douvre (il y a à peu près 1500 ans) les Anglo-Saxons (une tribu germanique) ont pris possession de l’Angleterre et ont amené avec eux un bon nombre de mots allemands. L’élément français (normand) est venu avec Guillaume le Conquérant après la bataille de Hastings et a introduit beaucoup de mots français, formant la langue anglaise telle qu’elle existe aujourd’hui avec de petites modifications. C’est la raison pour laquelle on trouve beaucoup de mots purement allemands et français dans la langue anglaise* (7).
Un bonjour pour Hélène et mes meilleurs baisers pour toi et les enfants.

                                                 Paul

PS : Je t’envoie quelques vieilles correspondances de Lec. qu’il serait intéressant de conserver.


* *Passage traduit de l’anglais (A. L. Volmer).
Uniforme bleu horizon (Musée de l'Armée)



Notes (François Beautier)
1) - "Mr. et Mme Diet" : ce que Paul en a dit dans sa lettre du 23 janvier 1916 ne permet pas de savoir qui ils sont. 
2) - "prise de Trébizonde par les Russes" : le port turc de Trébizonde (actuel Trabzon) sur la Mer Noire, bombardé par avions et par canons de marine, tombe aux mains des Russes le 18 avril 1916. La plupart des journaux français voient dans cette victoire le prélude à une prochaine avancée russe en Anatolie donc la possibilité d'une "résurrection de l'Arménie" (titre de première colonne du Figaro du 23 avril 1916). 
3) - "arrivée de troupes russes en France" : deux régiments russes partirent par mer de Dairen (Mandchourie) le 28 février 1916 sur des navires français conduits par le "Latouche-Treville". Ces soldats débarquèrent à Marseille les 20 et 21 avril 1916. ils y furent acclamés chaleureusement. Cinq jours plus tard, équipés par la France, ils étaient à l'instruction en Champagne où ils prirent part aux combats un mois plus tard. 
4) - "Valentin" : musicien à Marseille, de nationalité suisse, engagé dans la Légion pour la durée de la guerre, avec lequel Paul a sympathisé, à Lyon, en décembre 1914. Ce Valentin est resté affecté au dépôt principal de la Légion à Sidi Bel Abbès.
5) - "Salonique" : port grec devenu depuis la fin octobre et le début novembre 1915 le principal point de débarquement des troupes franco-britanniques dépêchées au secours des Serbes contre les Bulgares. Le roi Constantin, hostile à la présence d'Alliés sur son territoire, fit assiéger par ses troupes les Franco-britanniques dans la ville en décembre 1915, mais ne put pas enrayer le débarquement continu et massif de nouvelles troupes alliées, dont certaines venues de Russie, d'Algérie ou du Maroc.
6) - "nouvelle enquête" : enquête policière sur Paul et sa famille. Il est probable que la pression exercée à cette époque sur le Ministre de l'Intérieur Louis Malvy par l'extrême droite sur le thème du manque de répression des potentiels espions allemands installés en France, a pu être la cause de cette nouvelle enquête visant les Gusdorf.
7) - "dans la langue anglaise" : Paul inflige à son épouse un véritable cours en anglais d'histoire culturelle de la Grande Bretagne. Ses références à La bataille de Douvres (Ve siècle), à Guillaume le Conquérant (dit Guillaume II de Normandie et Guillaume 1er d'Angleterre, 1027-1087), et à la bataille d'Hastings (14 octobre 1066) prouvent l'excellence de sa mémoire, l'immensité de son savoir et son don pour la pédagogie. Il est cependant vraisemblable que son éventuel censeur militaire en tirerait argument pour conclure à l'étrangeté suspecte de ce candidat à la nationalité française qui sait tout sur tout, surtout si c'est étranger...


mercredi 20 avril 2016

Lettre du 21.04.1916



Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Taza, le 21 Avril 1916

Chérie, 

Rentrant à Taza, je viens de trouver ta lettre du 11 courant et le journal du 1° ; ceux des 9, 10 & 11 Avril me manquent encore, mais suivront demain, j’espère. En ce qui concerne le contenu principal de tes lignes, je ne vois vraiment pas en quoi je t’ai empêché de faire ce que bon te semble pour te rendre compte de notre situation exacte. Je t’ai exposé mon propre point de vue en te répétant plusieurs fois de façon très détaillée ce que j’en pense. Tu m’as répondu il y a à peine un mois que tu étais bien d’accord avec moi sur l’attitude à prendre : alors pourquoi maintenant ces véhéments reproches ? (1) Il me semble que je n’aurais même pas pu te laisser plus de liberté qu’en te disant de faire toutes les démarches que tu jugeais utiles. Donc explique notre cas à Me Lanos (2) puisqu’il le connaît déjà à peu près et parle-lui aussi de l’attitude étrange de Me Bonamy  dans cette affaire. Montre-lui en outre les 2 certificats que je t’ai envoyés d’ici et la coupure ci-jointe de l’Echo d’Oran du 18 Mars 1915 qui parle d’un cas analogue. D’après ce que je sais, les présidents des Tribunaux ont la liberté de juger les cas en toute indépendance et il se peut que celui de Nantes juge autrement que celui de Paris. Pour ta gouverne, Saïda est dans l’Algérie et garnison du 2° Régt. Etranger comme Bel Abbès garnison du 1°. Merzger (3) n’est donc même pas au Maroc comme moi depuis 15 mois.
Ton opinion sur ce que j’aurais pu ou dû faire pour forcer L. (4) à m’envoyer les comptes est absolument contraire au bon sens. T’ayant exposé ma façon de penser à différentes reprises, je n’insiste pas. Penhoat de même a refusé de remettre à L. ses fonds et s’il tenait ses livres à sa disposition, c’était à la condition expresse qu’ils ne quittaient pas le 108 Bd de Clichy. Si nous trouvons des preuves que L. fait des affaires pour son propre compte, sa situation sera assez mauvaise vis à vis de nous après la guerre. En attendant, ce fait ne nous porte aucun préjudice, toujours d’après mon avis à moi. Maintenant, agis comme tu veux sous tous les rapports et si tu as besoin de vendre pour verser une provision à l’avocat (B. (5) à Nantes avait demandé 200 Frs. que L. lui a avancés pour moi) vends tranquillement ; inutile de me consulter encore là-dessus. Mais si Me L. (6) veut s’occuper de cette affaire, il serait peut-être bon de prévenir Me B. qu’il n’a plus besoin de s’en occuper.
Il m’a été assez intéressant d’apprendre par la bouche de Mr. Asquith (7) ce que les Anglais entendent par l’écrasement du militarisme prussien et comment ils envisagent en général les conditions de paix. C’est déjà un petit pas en avant pour moi ...
En route, nous avons passé quelques journées aussi agréables qu’utiles : On se levait à 4 1/2 hs de façon à pouvoir admirer le lever du soleil. A 5 hs on allait travailler pour réparer la route pour que l’automobile du Général (8) puisse commodément retourner à Fez. Le 2° jour il faisait quelque 40° de chaleur ; les 3° et 4° de la pluie ; donc beaucoup de changement et, en conséquence, de la distraction. Il n’est cependant pas impossible que nous restions encore le dimanche de Pâques à Taza et qu’on ne reparte que le lundi ou mardi suivant.
Le Poulet à la gelée ainsi que le Cassoulet ont trépassé pendant ces journées en route : ils étaient excellents.
Mes meilleures tendresses pour toi et les enfants.


Paul


Notes (François Beautier, Anne-Lise Volmer)
1) - Il semble que Marthe, angoissée par sa situation matérielle, reproche ici à Paul de n'avoir pas réussi à débloquer ses avoirs, mis sous séquestre.
2) - "Me Lanos" : Maître Lanos, avocat, apparemment embauché par Marthe pour remplacer le précédent, Maître Bonamy, qui ne répond plus.
3) - "Merzger" : apparemment un soldat connu des Gusdorf et qui, à la différence de Paul, bénéficierait d'un régime plus avantageux que le séquestre qui fige les avoirs de Paul dans la société Leconte. 
4) - "L." : Leconte.
5) - "B." : Maître Bonamy, à Nantes.
6) - "Me L." : maître Lanos.
7) - "Asquith" : Herbert Henry Asquith, chef libéral de droite du gouvernement britannique de 1908 à 1916. Paul fait allusion au discours qu'Asquith prononça à Londres le 10 avril 1916 à l'intention des députés et sénateurs français invités par le Comité franco-britannique : ce discours était titré "Pourquoi la Grande Bretagne combat" et fut immédiatement publié en français par l'éditeur anglais Darling and Son. Paul se réjouit de la fermeté des Anglais et y voit le présage d'une issue prochaine de la guerre, par la défaite de l'Allemagne. 
8) - "le général" : il s'agit du général Henrys, dont le quartier général est à Fès. C'est la première fois que, dans ses lettres, Paul manie le sarcasme en parlant  de ses occupations militaires.  

vendredi 15 avril 2016

Lettre du 16.04.1916



Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Taza, Dimanche, le 16 Avril 1916

Chérie,

Etant de garde à Bab Djema (1)  je reçois à l’instant ta lettre du 7 cour. et comme il se confirme que nous partirons demain pour ne retourner que vers la fin de la semaine, je vais t’écrire encore aujourd’hui, tout en te confirmant ma carte d’hier. Nous allons, paraît-il, travailler sur la piste de l’Oued Amélie (2), qui s’est effondrée à la suite des récentes pluies et dont la réparation a été commencée la semaine dernière par quelques autres Compagnies, qui vont rentrer ce soir. Mais de toute façon nous allons être de retour pour Pâques ce qui est déjà une petite consolation. Je te retourne à cette occasion la coupure de l’Humanité avec le discours de Mr. Bethmann von Hollweg (3) dont j’avais déjà lu un extrait dans l’Echo d’Oran. En lisant ces paroles, incontestablement bien tournées et qui traduisent une telle confiance, on reste involontairement rêveur. Car on se demande s’il est réellement possible de travestir à tel point la vérité que les assurances données officiellement de part et d’autre sur le même sujet sont diamétralement opposées. Je veux bien admettre qu’il faut entretenir l’énergie et la confiance du peuple si l’on ne veut pas tout simplement abandonner la lutte. Mais je ne trouve point dans le discours du Chancelier les points de faiblesse que veulent y remarquer les journaux des Alliés. Où alors se trouve la vérité ? Certes, Bethmann ne parle plus d’une indemnité de guerre et il avoue aussi que la victoire décisive n’est point encore remportée. Mais ses allusions aux prétentions de l’Allemagne tant pour les territoires belges que pour la Pologne et la Courlande (4), doivent tout au moins troubler les lecteurs français intelligents, à moins qu’ils soient persuadés d’avance qu’ils vont lire des mensonges. Sur un point le Chancelier a certainement menti : c’est lorsqu’il veut faire croire que les Allemands ont été reçus comme des libérateurs par les Polonais. Tout le monde - même en Allemagne - sait en effet que la situation des Polonais prussiens (5) était assez lamentable ; et au surplus les journaux polonais, que quelques légionnaires reçoivent ici par l’Amérique, dépeignent la domination allemande en Pologne comme épouvantable ... 
Nous avons vu arriver hier soir un détachement de la Légion venant de Bel Abbès (6) et dont une partie restera ici, tandis que l’autre ira au Tadla (7), à ce qu’il paraît. Si ce dernier point se confirme, notre bataillon ne serait donc point appelé à aller au Tadla comme on disait il y a quelque temps, ce qui ne serait que tant mieux sous un rapport. 
Je regrette beaucoup que Mme Penhoat soit revenue sur sa décision, car cette visite t’aurait au moins distraite pour quelques jours. Et Mr. Penhoat me l’annonçait précisément hier ...
Sous la rubrique “Permissions” encore cette nouvelle que trois hommes seulement ont été autorisés à partir pour 15 jours dont 2 Français et un Lorrain. Un Turc, engagé pour la durée de la guerre, a reçu cette réponse qu’étant d’une nation en guerre avec la France, il n’avait pas le droit à la permission, bien qu’il soit depuis de longues années marié à Paris. Savario n’a pas obtenu non plus de permission, mais il s’est débrouillé pour entrer à l’hôpital et ira ces jours-ci à Guercif ou Oujda pour se faire soigner.
Il me semblait que Mr. Devillier (8), après son renvoi du Ministère, était rentré dans son ancienne place chez Mr. B. (9)?
Bonne fête et un bonjour pour Hélène.
Pour toi et les enfants, mes meilleurs baisers.

                                                  Paul


Notes (François Beautier, Anne-Lise Volmer)
1) - "Bab Djema" : poste de garde à la jonction entre la vieille ville de Taza et les camps militaires chargés de la pacifier et contrôler.
2) - "Oued Amélie" : Paul écrit phonétiquement le nom de l'Oued Amelil (actuel Amlil) où il est déjà allé en novembre 1915 (voir sa carte postale du 24 novembre 1915). Il s'agit d'un poste à mi-chemin de Taza à Fès soit à une quarantaine de km de Taza, qui contrôle la piste et la voie ferrée stratégiques le long de l’oued Amelil.
3) - "Bethmann von Hollweg" : Bethmann Hollweg, chancelier du Reich. Il s'agit vraisemblablement de son discours au Reichstag du 5 avril 1916 dans lequel il disait sa confiance en une victoire finale de l'Allemagne et réclamait un budget militaire alourdi.
4) - "Courlande" : région devenue l'actuelle Lettonie, alors attachée à l'Empire russe depuis le troisième "Partage de la Pologne" en 1795. L'Allemagne voulait annexer cette région (éventuellement pour y créer plus tard un État-tampon à sa botte), et comptait y parvenir en s'appuyant sur la partie germanophone de la population (comme en Belgique et en Pologne) et sur les classes dirigeantes conservatrices et germanophiles (les "barons baltes", fermes opposants à la contagion de la révolution de 1905 et à celle qui s'annonçait de nouveau en Russie). Or, le 18 mars 1916, l'armée allemande a été enfoncée par les Russes en Courlande et le chancelier du Reich n'en a semble-t-il tenu aucun compte dans la réaffirmation des visées expansionnistes de l'Allemagne. Celles-ci demeurent inchangées depuis qu'en avril 1915 le Reich les a fait connaître aux Alliés par le canal du Colonel House envoyé spécial du Président Woodrow Wilson en Europe : elles comportent par exemple la cession d'une partie de la Belgique et d'une partie du Congo français...
5) - "les Polonais prussiens" : l'Allemagne, qui occupe la Pologne depuis l'été 1915, revendique soit son absorption (le Congrès de Vienne de 1815 avait remis à la Prusse une partie de la Pologne), soit d'y créer avec l'Autriche-Hongrie un ou plusieurs États-tampons favorables aux puissances centrales face à la Russie. Comme en Courlande, la légitimité de cette volonté d'expansion du territoire allemand ou de la zone d'influence allemande s'appuie sur la présence de germanophones en Pologne, les "Prussiens de Pologne" (expression que Paul rectifie en "Polonais prussiens").
6) - "Sidi Bel Abbès ": en Algérie occidentale, dépôt principal de la Légion en Afrique du Nord.
7) - "le Tadla" : Paul a évoqué la ville de Tadla dans sa lettre du 25 février 1916, en disant que sa compagnie allait peut-être s'y rendre. Il s'agit d'une ville - Kasba Tadla - et de son territoire tribal berbère - le Tadla -, situés à mi-chemin de Fès et de Marrakech donc en position stratégique pour contrôler les accès occidentaux du Moyen Atlas. Il semble que le plan utilisé par Mangin en 1913, pour établir la paix dans les deux Maroc, soit repris en 1916 pour y rétablir l'ordre en créant une tenaille composée au sud-ouest par les troupes françaises de Casablanca et Tadla et au nord-est par celles de Taza et Fès. 
8) - "Mr. Devillier" : relation des Gusdorf. Employé par le gouvernement replié à Bordeaux, M. Devillier avait sous-loué avec sa famille une partie de la maison des Gusdorf au début de la guerre.  

9) - "Mr. B." : ? 

mardi 12 avril 2016

Lettre du 13.04.1916



Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Taza, le 13 Avril 1916

Chérie,

J’ai bien reçu tes lettres des 21 & 5 courant. Comme déjà dit, j’ai écrit aussi tout ce temps-ci 3 fois par semaine, y compris il est vrai mes cartes aux enfants. 
Vous voilà bientôt arrivés à Pâques : 10 jours encore ! Mais je crois que je prendrai la garde le 22 à 5 hs - comme je serai aussi de garde dimanche prochain. Il est vrai que comme promenade on ne peut pas aller bien loin ici : il n’est guère permis d’aller à plus de 1 ou 2 km de la ville dans aucune direction pour éviter les coups de fusil. On se contente donc d’aller s’allonger dans la forêt des oliviers ou bien dans les jardins au bord de l’oued où tout est fleuri maintenant. Comme concert il y aura les coups de canon réglementaires, ne fût-ce que sur les troupeaux des bicots non soumis qui tâchent maintenant de paître dans la plaine de Taza ou sur le versant des montagnes qui, en haut, sont nues. Au pied cependant et dans la plaine il y a de luxurieux pâturages et l’herbe pousse à hauteur d’homme. Même notre champ de tir - où nous avons manoeuvré aujourd’hui - est tout fleuri et ne se reconnaît pas sous son tapis vert, blanc, rouge et bleu. Enfin, c’est le printemps en plein, déjà un peu chaud ! Presque tous les Goums (1) et Spahis (2), lorsqu’ils amènent leurs chevaux dans les prés, ont un joli petit poulain qui trotte à côté de sa mère et même les mamans chameau se promènent avec leur petit qui, lui, a aussi déjà l’air d’un chameau. Le dimanche toutefois est fort apprécié par nous tous car nous sommes complètement libres ce jour (à moins qu’il y ait un convoi ou que nous soyons de garde). On reste donc au lit jusqu’à 8 et même 9 hs s’il fait mauvais temps ; quelques-uns vont de bonne heure à la pêche, d’autres se débrouillent pour trouver du vin et se saouler ...
Taza s’embellit malgré tout : les jardins autour du Cercle des Officiers et celui des Sous-Officiers sont sensiblement agrandis et aucune cantine ou autre lieu de distraction pour les simples soldats n’enlaidit la ville, dont la partie extérieure (occupée par la troupe) a reçu maintenant des lampes et se trouve ainsi brillamment illuminée. Les routes s’améliorent beaucoup, du moins dans le voisinage immédiat de la ville qui, elle, est maintenue dans son état primitif et pittoresque ...
N’as-tu réellement pas peur de faire traverser à Suzette le centre de Bordeaux pour te chercher à la leçon ? Mr. Lartigue (3) t’a-t-il parlé lorsque tu l’as rencontré ? Si je me rappelle bien, il était dans la Parfumerie Daver (4), mais je n’ai pas eu l’impression qu’il était un homme d’une intelligence particulière. Sa femme avait, je crois, ces petites combinaisons d’achat à crédit ... qui ne doivent donc pas être si désavantageuses que cela ? 
L’alerte en Hollande (5) est certainement à l’américaine (6) et n’aura pas de lendemain. As-tu lu que l’écrivain Stilgebauer (7) a fait publier par un journal hollandais un assez violent article contre les dirigeants allemands ? 
La scission des socialistes allemands (8) occupe encore passablement la presse qui semble y attacher plus de valeur que toi. A propos de ta mère, je crois que tu exagères quelque peu sa sensibilité ! J’admets bien qu’elle souffre de te savoir loin, mais je ne crois point qu’elle te considère comme “perdue”, car elle pense certainement bien moins loin que toi.
Passez donc gaiement Pâques, car tu as certainement besoin d’un peu de distraction.
Mille baisers.

                                                   Paul



Notes (François Beautier)
1) - "les Goums" : il semble que Paul, à moins que ce soit sa compagnie, emploie à tort le mot "goum", qui désigne une unité d'infanterie légère de l'Armée d'Afrique, essentiellement composée d'autochtones, les goumiers.
2) - "les Spahis": membres essentiellement marocains des unités de cavalerie légère de l'armée française d'Afrique. Paul, qui n'attribue pas la majuscule aux Arabes, bien qu'il s'agisse d'un peuple, la donne sans réticence à ses collègues soldats autochtones. 
3) - "Mr. Lartigue" : ?
4) - "Parfumerie Daver" : le grand parfumeur parisien J. Daver disposait à Bordeaux d'une usine-point de vente, la parfumerie Mayaudon. 
5) - "l'alerte en Hollande" : les Pays-Bas menacent l'Allemagne de rejoindre les Alliés (et l'Allemagne d'envahir la Hollande) à la suite des torpillages par des sous-marins Allemands, les 16 et 18 mars en Mer du Nord de deux navires néerlandais, la Tubantia, et le Palembang. Paul ne dit sans doute rien de la démission de l'amiral Alfred von Tirpitz, le 15 mars 1916, dont la politique de guerre sous-marine à outrance venait d'être désapprouvée par l'Empereur, parce que dans les faits rien ne changea, comme le prouvent ces torpillages de navires hollandais... 
6) - "à l'américaine et n'aura pas de lendemain" : allusion aux protestations jusqu'alors sans conséquence des USA à la suite du torpillage du Lusitania, paquebot britannique transportant des ressortissants américains, le 7 mai 1915. Paul s'impatiente de voir les USA entrer dans la guerre contre l'Allemagne, ce qu'ils feront le 6 avril 1917. 
7) - "l'écrivain Stilgebauer" : Edward Stilgebauer, écrivain allemand (1868-1936), exprima son pacifisme en s'exilant en Suisse dès le début de la Première Guerre mondiale. Travaillant pour divers journaux européens il développa une analyse très critique du militarisme allemand, ce qui vaudra plus tard à son œuvre (notamment à ses deux "Romans de la guerre mondiale" ("Inferno" et "Le navire de la mort", parus en 1916 et 1917) de figurer sur la liste des ouvrages interdits par les nazis.

8) - "la scission des socialistes allemands" : allusion à la dissidence de députés du PSD qui ont refusé de continuer à soutenir la politique belliciste d'union nationale de leur parti et ont rejoint le groupe autonome piloté par Karl Liebknecht.