Groupe de Marocains, 1919 |
Carte-lettre Madame P. Gusdorf 22 rue du Chalet 22 Caudéran
Sidi Bel Kacem, le 16 Août 1917
Chérie,
Je suis sans tes nouvelles depuis le 31 Juillet et te confirme ma lettre du 13 (1). J’espère pourtant que ton état ne s’est point aggravé et que pourtant tu vas mieux. N’as-tu toujours pas reçu une réponse du Maire à la récente demande (2)? En ce qui concerne Mme Robin (3), m’est avis de ne plus s’occuper du tout d’elle. Si elle obtient le paiement du loyer, tant mieux pour elle ; sinon, nous n’y pouvons rien non plus, pouvant au contraire bénéficier d’une réduction de loyer (4) après la guerre. J’ajoute cependant qu’à mon avis cette réduction n’atteindra pas les loyers comme le nôtre dans une petite ville. Je suis sans nouvelles également de Mr. Penhoat (5) et je vais lui écrire du nouveau retard causé par cette colonne (6) qui, je le crains, nous tiendra dehors jusqu’à la fin du mois ou presque. Et Dieu sait si aussitôt nous ne sortirons pas pour une autre direction.
La crise des effectifs se fait sentir ici, et malheureusement nous ne pouvons pas compter ici sur la relève par les Américains (7) ou les Anglais ! Et quand on est dans l’engrenage, on n’en sort plus. Enfin, je compte toujours sur un revoir (8) en Septembre et je serais rudement désappointé si cette fois-ci encore je n’avais pas satisfaction.
Embrasse bien les enfants pour moi et reçois mes plus tendres baisers.
Paul
Notes (François Beautier)
1) - « du 13 » : ce courrier manque.
2) - « réponse du Maire » : probable allusion à la demande officielle dont Paul avait fourni à Marthe le modèle dans son courrier du 21 juillet (voir sa lettre du 7 août 1917). Le fait que le Maire soit impliqué indique qu’il s’agit vraisemblablement d’un certificat de bonnes mœurs concernant Marthe, en tant qu’hôtesse prochaine de son époux permissionnaire.
3) - « Mme Robin » : propriétaire du logement des Gusdorf à Caudéran. Il apparaît qu’elle aurait fait appel à la Justice pour s’en faire payer les loyers incomplètement honorés par le couple, qui cherchait au contraire à négocier à l’amiable une baisse du terme en s’appuyant d’une part sur le moratoire concernant le loyer des mobilisés et d’autre part sur la possibilité que lui accordaient les Gusdorf de les renvoyer après simple préavis de 3 mois à compter de la fin de la guerre.
4) - « réduction de loyer » : mesure de pacification sociale promise par les grandes villes en faveur des locataires anciens combattants. Caudéran était à cette époque (et jusqu’en 1965) une commune indépendante de celle de Bordeaux.
5) - « Penhoat » : associé de Paul et de Leconte.
6) - « colonne » : ce mot désigne une formation de combat alors que Paul avait décrit son stationnement à Sidi Belkassem comme un détachement destiné à parachever un poste militaire, ce qui correspondait à la réalité puisque les combats avaient été menés et remportés par un régiment de tirailleurs juste avant l’arrivée du détachement du 6e bataillon (auquel appartenait Paul) sur ce site. Il est donc vraisemblable que Paul ait voulu « noircir » sa situation pour mettre fin aux récriminations impatientes de Marthe le tenant responsable du report de sa permission.
7) - « relève par les Américains » : après les Britanniques venus épauler les Belges et les Français sur le continent dès le début d’août 1914, le premier détachement du corps expéditionnaire américain, conduit par le Général Pershing, a débarqué à Boulogne-sur-Mer le 13 juin 1917, le second arrivant à Saint-Nazaire moins de 15 jours plus tard.
8) - « un revoir » : une permission permettant de rentrer à Caudéran.
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