mardi 17 février 2015

Lettre du 18-02-1915


le 18 Février 1915

Je n’ai pas pu finir cette lettre hier soir au lit par suite de la sonnerie “extinction des feux” qui nous fait souffler les bougies. J’ai reçu ce matin une lettre de Mr. Leconte disant qu’il va être autorisé à me verser Frs. 400,- par mois ; je vais lui répondre de te les adresser à partir du mois prochain, vu qu’en raison de 500,- Frs par mois mon prélèvement de 3000,- Frs sera épuisé fin Février si je compte 1000,- Frs. sur Août car j’avais pris 500 Frs. à Bordeaux sur Août avant de partir. Il nous promet également très prochainement les résultats provisoires de 1914 et un résumé des affaires actuelles. Lorsque tu auras reçu l’argent, tu pourras m’adresser un mandat de façon à ce qu’il arrive à Taza 2° quinzaine de Mars. Une feuille de chou de St Nazaire, “la Démocratie de l’Ouest” (1), avait entrepris une campagne contre nous comme maison allemande et L. s’est chargé de mettre cette histoire au point. En ce qui concerne notre association, il ne faut pas prendre ces escarmouches au sérieux : Un contrat comme le nôtre ne se brise pas facilement et L. serait du reste bien embêté à nous verser une soixantaine de mille francs (2)! Nous aurons l’occasion d’en parler verbalement avant d’agir, les héros de l’Iliade s’engueulaient aussi terriblement avant d’agir et ne se tuaient pas plus que cela. Il va sans dire que ni Penhoat ni moi ne partirions sans notre pognon ! Mais je serais bien bête de continuer à bûcher comme je l’ai fait par le passé ! 
As-tu maintenant sevré la petite (3)? J’aurais vraiment plaisir de passer seulement 24 hs. avec vous ; ce qu’il y a de bien curieux, je pense beaucoup plus souvent à toi qu’aux enfants et pourtant ils devraient m’être aussi proches que toi ! Ah bon Dieu je l’attends aussi avec impatience le jour où je pourrai quitter le camp de Wallenstein (4)!
Mes meilleures caresses pour toi et les enfants ; écris moi bientôt ici à Taza.

                                               Ton Paul


Inclus 2 coupures ; envoie-moi le Journal ; le bonjour à Hélène.

Notes (François Beautier)
1) - "La Démocratie de l'Ouest" : quotidien édité à Saint-Nazaire, diffusé dans tout le bassin nantais et qui fait alors référence à gauche, par exemple pour avoir formé au journalisme politique Aristide Briand et Fernand Pelloutier qui s'y sont rencontrés. 
2) - "soixantaine de mille francs" : total des parts de Paul et de son ami Jean Penhoat dans la société L. Leconte et Cie. 
3) - " la petite" : Alice, née en novembre 1913, a donc 15 mois.
4) - "le camp de Wallenstein" : Paul fait référence au titre du premier acte du célèbre drame "Wallenstein" de Friedrich von Schiller, publié en 1796. De même que le camp de la Légion que Paul décrit dans ses lettres, le camp militaire dirigé par le général Wallenstein rassemble des soldats venus de tous les horizons. Par ailleurs, Paul se sent lui-même un peu comme un Wallenstein qui, voulant être libre, est soupçonné à tort par sa patrie (l'Empire germanique pour Wallenstein ; la France pour Paul) de vouloir la trahir. Paul, conscient des angoisses de Marthe, ne file pas plus loin la comparaison : le drame de Schiller s'achève de façon très pessimiste par la mort violente de Wallenstein, broyé par son funeste destin. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire