Le Général Nivelle en 1916 |
Madame P. Gusdorf 22 rue du Chalet 22 Caudéran
Taza, the 15th December 1916
Darling,
Thank you for your kind letter of the 3rd and the 5th inst. returning me the mine of the 29th October. My sentence concerning the words “3 months” is really not quite clear and I should have better done to write “You ought to say 3 months” instead of 3 month. But as a matter of fact the French expression “on dit” is translated in English not by the words “one says” but by several expressions differing with the sense you are giving to your sentence. So you will hear very often “People say” but also “You say”.
But why do you always write “lext time” instead of “last time” ?
Knowing that Mr. Frid had left Bel Abbes the 23rd ult. I thought already he would not have passed via Bordeaux but that he would travel directly to Paris where he has some parents, a married sister I think. So I am really glad to hear that he called on you as he had promised it when leaving Touahar. But I do not understand at all why his brother is in a “camp de concentration” as he is of Russian birth. Has he been naturalised German ? Frid told me very often that he likes children very much ; I think he got satisfaction occasionnally his visit !
I heard yesterday that our Generalissime of Morocco Mr Lyautey got Minister of the War-Office and that he will be replaced here by General Gouraud, the same who coming from the West joined General Baumgarten when this officer arrived at Taza from the East and who, last year, was wounded at Gallipoli. Mr. Lyautey has been appreciated here more as political man than as soldier properly spoken. I am nevertheless surprised of this choice as he is rather old, as he left France since many years and as finally he does not hear very well. Perhaps the French Government wants to present to the Parliament a man “de prestige”, for the French newspapers “cannot repeat enough” - they say so - that the conservation of Morocco is exclusively due to Mr. Lyautey. Mr. Joffre seems also to be replaced by General Nivelle though he conserves his title of Generalissime of the allied armies or technical director of the war.
It is only to hope that the war will be carried on in a more energical way , at least on the Western front, for I do not follow at all the events in the East, or at least on the Russian theater. The invasion of Rumania is not at all a confirmation of the “usure allemande” so often repeated by the papers. I think nevertheless that this act costed the life of a lot of German soldiers and that, seen under this point of view, it will contribute to finish the war. Everybody says of course that the possession of Bucarest has no influence on the issue of the struggle. Why do they not say that it is a success for the Allies ?
I do not remember to have got your letter of the 30th October speaking of the importance of that day. At Touahar I was fully convinced that Alice’s birthday was the 30th of November and I saw only at Taza that I was mistaken.
Frid sent me today a postcard from Libourne stating that he was extremely well - even too well, he says - received at Caudéran and that he was very pleased to talk all the day with the children. He is adding that although he had a great desire to kiss them when leaving the house he did not venture to do so : “Ayant embrassé tant de vice en Afrique, je n’osais pas embrasser l’innocence.” Penhoat also writes me, telling that his wife will go with him to Nantes where he expects to meet you in order to see the lawyer together. Of course, if you could see the Attorney, that would be very important to clear up our situation and to know if really it is useful to continue our steps with Messrs. Bonamy and Lanos. You may always try to be introduced to the Procureur who, I think, has an illimited power in all that question.
With reference to my permission, I shall await the arrival of the General Gouraud who is told to be a real soldier, appreciating the troops after their efforts without looking if they are Territoriaux, Zouaves, Tirailleurs or Légionnaires. But even if I should get the chance to get a permission, there is no possibility to leave here before the month of February. But this own idea has already charm enough for me.
Sincerely yours
Paul
Do you want some more newspapers from Cardiff ?
Traduction (Anne-Lise Volmer): *
Ma chérie,
Merci pour ta bonne lettre des 3 et 5 courant, qui me renvoie ma lettre du 29 octobre. Ma phrase contenant les mots "trois mois" n'est vraiment pas très claire, et j'aurais dû écrire "il faudrait dire trois mois", au lieu de trois mois. Mais en fait l'expression française "on dit" se traduit en anglais non par "one says", mais par différentes expressions, selon le sens de la phrase. On entendra donc très souvent "People say", mais aussi "you say".
Mais pourquoi donc écris-tu toujours "lext time" au lieu de "last time"?
Sachant que M. Frid (1) a quitté Bel Abbès le 23 du mois dernier, je pensais qu'il ne serait pas passé par Bordeaux, mais qu'il se rendrait directement à Paris, où il a de la famille, une soeur mariée je crois. Je suis donc très content de savoir qu'il t'a rendu visite, comme il avait promis de le faire en quittant Touahar. Mais je ne comprends pas du tout pourquoi son frère est dans un "camp de concentration"**, comme il est de naissance russe. A-t-il été naturalisé allemand (2)? Frid m'a souvent dit qu'il aime beaucoup les enfants, et je pense qu'il a été content à l'occasion de sa visite!
J'ai entendu dire hier que notre généralissime au Maroc, M. Lyautey (3), est devenu Ministre de la Guerre, et qu'il sera remplacé ici par le Général Gouraud, le même qui, arrivé ici de l'ouest, a rejoint le Général Baumgarten (4) quand cet officier est arrivé à Taza de l'est, et qui, l'an dernier, a été blessé à Gallipoli (5). M. Lyautey a été apprécié ici davantage comme un homme politique que comme un militaire à proprement parler. Je suis cependant surpris de ce choix, comme il est plutôt vieux, qu'il a quitté la France depuis plusieurs années, et qu'il n'entend pas bien. Peut-être le gouvernement français veut-il présenter au Parlement un homme "de prestige"** (6), car les journaux français ne peuvent pas répéter assez souvent que c'est exclusivement grâce à lui - c'est ce qu'ils disent - que le Maroc a été conservé. M. Joffre (7) semble aussi devoir être remplacé par le Général Nivelle, quoiqu'il conserve son titre de Généralissime des armées alliées, ou directeur technique de la guerre.
On ne peut qu'espérer que la guerre continuera de manière plus énergique, du moins sur le front occidental, car je ne suis pas du tout les évènements à l'est, ou du moins sur le théâtre des opérations en Russie. L'invasion de la Roumanie n'est pas du tout une confirmation de "l'usure allemande"** (8), comme le répètent si souvent les journaux. Je crois néanmoins que cette action a coûté leur vie à de nombreux soldats allemands, et que, de ce point de vue, elle contribuera à mettre fin à la guerre. Tout le monde dit, bien sûr, que la possession de Bucarest n'a pas d'influence sur le résultat du combat. Pourquoi ne disent-ils pas que c'est un succès pour les Alliés?
Je ne me souviens pas d'avoir reçu ta lettre du 30 octobre, qui parlait de l'importance de ce jour. À Touahar, j'étais absolument persuadé que l'anniversaire d'Alice était le 30 novembre, et c'est seulement à Taza que j'ai vu que je m'étais trompé.
Frid m'a envoyé aujourd'hui une carte postale de Libourne, me disant qu'il a été extrêmement bien reçu - même trop bien - à Caudéran (9), et qu'il a été très content de parler avec les enfants toute la journée. Il ajoute que, bien qu'il ait eu très envie de les embrasser en quittant la maison, il ne s'est pas aventuré à le faire: "Ayant embrassé tant de vice en Afrique, je n'osais pas embrasser l'innocence"**. Penhoat m'écrit aussi, me disant que sa femme l'accompagnera à Nantes, où il pense te rencontrer pour que vous voyiez l'avocat ensemble. Bien sûr, si vous pouviez voir l'homme de loi, ce serait très important pour éclaircir notre situation, et pour savoir s'il est vraiment utile de poursuivre avec Messrs Bonamy et Lanos. Tu peux toujours essayer d'être présentée au procureur, qui, je crois, a un pouvoir illimité dans cette question.
En ce qui concerne ma permission, j'attendrai l'arrivée du Général Gouraud (10), dont on dit que c'est un vrai soldat, appréciant les troupes selon leurs efforts sans regarder si ce sont des Territoriaux, des Zouaves, des Tirailleurs ou des Légionnaires. Mais même si j'avais la chance d'obtenir une permission, il n'y aurait aucune possibilité de partir avant Février. Mais cette seule idée a déjà suffisamment de charme pour moi.
Bien à toi
Paul
Veux-tu d'autres journaux de Cardiff? (11)
* L'anglais de Paul, très courant, n'est cependant pas parfaitement académique, et contient quelques erreurs et maladresses, que nous n'avons pas rendues dans la traduction.
** En français dans le texte.
Notes (François Beautier)
1) - "Mr. Frid" ; ancien Légionnaire à Taza, d'origine russe, démobilisé à Sidi Bel Abbès (Algérie) après 5 ans de contrat. Ce caporal ami de Paul lui avait promis de rencontrer Marthe à Bordeaux en allant visiter son propre frère à Libourne (voir la lettre du 3 décembre 1916).
2) - "naturalisé allemand" : les Russes étant alliés des Français, il n'y avait aucune raison juridique à la rétention d'un Russe dans un camp français de regroupement (on disait aussi "de concentration") des étrangers ressortissants de pays ennemis. Cependant il faut compter avec les raisons policières (extra-judiciaires) non-dites : pour le gouvernement russe, un révolutionnaire (ou frère de révolutionnaire, comme Frid) était un ennemi qui pouvait donc être considéré comme tel par la police française. En 1917, les soldats russes entrés en révolution contre le tsarisme en France furent réprimés par la gendarmerie puis carrément pilonnés par les canons de 75 mm de l'artillerie française les 16 et 17 septembre dans le camp de La Courtine (en Creuse) où 10 000 d'entre-eux avaient été regroupés.
3) - "Lyautey" : Hubert Lyautey, Résident général de la France au Maroc, est nommé Ministre de la Guerre du gouvernement Aristide Briand le 12 décembre 1916. Il est remplacé au Maroc par le général Henri Gouraud. Lyautey - qui conservait le titre de résident général - fut d'emblée en désaccord avec le gouvernement qui avait d'une part amputé le Ministère de la Guerre en créant un Ministère de l'Armement (confié au socialiste Albert Thomas) et un Ministère des Transports et ravitaillement militaires (confié à Édouard Herriot) et d'autre part entrepris de nommer Nivelle (dont Lyautey n'appréciait pas l'impulsivité) comme successeur de Joffre. Lyautey démissionna avec tout le gouvernement (le sixième d'Aristide Briand) le 17 mars 1917.
4) - "Baumgarten" : le général Maurice Baumgarten avait participé au rétablissement de la liaison entre les deux Maroc par la jonction à Taza, le 10 mai 1914, des troupes du Maroc occidental conduites par Gouraud et des siennes venues du Maroc oriental, le tout sous le commandement de Lyautey.
5) - "Gallipoli" : péninsule turque de la rive nord du détroit des Dardanelles où les forces franco-britanniques furent massacrées en tentant de débarquer (voir la lettre du 26 septembre 1916). Henri Gouraud, chef du corps expéditionnaire français, y perdit un bras au combat en juin 1915.
6) - "un homme de prestige" : Hubert Lyautey, Joseph Joffre et Joseph Galliéni sont alors les trois généraux les plus prestigieux. Tous trois sont des "coloniaux" aguerris en Afrique noire française (au Sénégal, au Mali, au Soudan français), à Madagascar, au Tonkin. Lyautey, considéré comme l'organisateur du Maroc moderne (et comme le conservateur du Maroc dans le giron colonial français), plus jeune que Galliéni et moins usé que Joffre (de fait limogé) est le plus prestigieux des trois et donc choisi par Aristide Briand.
7) - "Joffre" : Joseph Joffre, qui jouit d'une grande popularité du fait de sa bonhommie, est fortement contesté au gouvernement, au parlement et à l'armée pour le bilan effroyable de ses longues et lentes opérations de "grignotage" de l'ennemi, tant à Verdun que sur la Somme. On lui cherche un successeur à la tête des armées du Nord et de l'Est. Le nom de Joseph Galliéni est avancé mais l'homme n'en a pas envie (ancien gouverneur général de Madagascar, il avait déjà pris sa retraite lorsqu'il fut rappelé à la défense de Paris et lança la fameuse bataille des taxis de la Marne, les 6 et 7 septembre 1914). C'est finalement le médiatique et ultra-belliciste Robert Nivelle qui remplacera Joffre - nommé conseiller technique militaire du gouvernement - à partir du 25 décembre 1916. Nivelle sera à son tour limogé après l'échec de son offensive du Chemin des Dames en avril 1917.
8) - "usure allemande" : l'année 1916 se terminant en France par le recul des Allemands sur Verdun (la bataille s'achèvera officiellement le 18 décembre 1916) et la Somme (achevée un mois plus tôt), la presse française et britannique, s'inspirant de l'expression "je les grignote" de Joffre, s'impatiente d'une possible victoire en rabâchant l'idée d'une inéluctable "usure allemande". En fait, sur les fronts orientaux, l'Allemagne progresse : Bucarest, capitale de la Roumanie, est occupée par ses troupes depuis le 6 décembre du fait de l'insuffisante aide française et russe ; la Russie n'a rien pu faire contre la création le 5 novembre 1916 d'un royaume fantoche de Pologne sur ses propres terres, ni contre la défaite de son alliée roumaine, et ses troupes ne progressent plus nulle part depuis le 18 novembre 1916 (abandon de l'offensive de Broussilov). Le mythe d'une usure allemande ne trompe plus personne, chacun sent que l'année 1917 sera longue et difficile...
9) - "à Caudéran" : Frid a donc été reçu par Marthe et les enfants.
10) - "Gouraud" : sur la question des permissions Gouraud sera aussi inflexible que Lyautey (devenu Ministre de la Guerre) du simple fait que le manque de troupes au Maroc perdurait. Plus généralement, Gouraud se comporta très exactement comme le continuateur de Lyautey (qui demeurait d'ailleurs Résident général).
11) - "Cardiff" : Paul reçoit de ses amis gallois le "South Wales Daily News", principal quotidien du Pays de Galles du Sud, édité à Cardiff, ce qui ne doit pas manquer d'intriguer ses supérieurs et collègues, tout comme la rédaction en anglais de cette lettre adressée à son épouse et traitant d'informations plus stratégiques que familiales...
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