Hélène Siret, employée de Marthe |
Nous intercalons ici une des rares lettres de Marthe que Paul ait conservées. Comme il s’en est déjà expliqué, le manque d’intimité et de place dans son paquetage justifiait qu’il détruisît systématiquement sa correspondance. Cette lettre avait dû, pour une raison que nous ignorons, être renvoyée à Caudéran.
Marthe avec Suzanne et Georges en mai 1914 |
Caudéran, le 20 Sept. 1916
Chéri,
J’ai reçu aujourd’hui ta carte du 11 et ta lettre du 9 Sept. Cela fait, en effet, dans la semaine entre le 3 et le 9 Sept, 3 correspondances, deux lettres et une carte. Je suis toujours très déprimée et ne sais pas trop quoi faire pour me remonter. Leconte n’a toujours pas envoyé le mandat et je suppose qu’il a eu vent de notre démarche et qu’il ne s’exécutera plus ce qui sera pour le moins ennuyeux. Enfin, je tâcherai d’obtenir un laissez-passer pour Nantes et j’irai les premiers jours d’octobre, aussitôt après avoir consulté Me Lanos.
Les enfants, heureusement, paraissent se remettre. La Petite ne mange toujours pas, mais elle est aussi gaie qu’autrefois. Quant à Georges, je ne m’explique pas bien ce qu’il a eu ou ce qu’il peut avoir pour avoir la figure si fatiguée. Il mange bien, s’amuse comme d’habitude et ne se plaint de rien. Peut-être qu’il grandit tout simplement. L’année dernière, il a eu aussi une très mauvaise passe, et après l’avoir surmontée nous avons constaté que c’était la croissance qui l’avait fatigué. Hél. est de nouveau comme d’habitude. Probable que sa fatigue était réelle et qu’elle avait besoin d’un peu de repos. Ce voyage chez ses parents a été une bonne diversion, quoiqu’accompli dans une douloureuse circonstance.
Quant à Mme Penhoat, que veux-tu, je ne peux pas la juger sans toucher à la personne sacrée de ton ami… Comme je ne veux pas te froisser, je me suis abstenue tout à fait. Elle est d’ailleurs convaincue que son Jean, qu’elle aime follement, lui reviendra complètement changé, et je le lui souhaite. Malgré la gaieté de son tempérament, elle a cruellement souffert.
Je l’ai priée de passer chez la directrice de l’école hôtelière dont je t’ai parlé l’autre jour, pour lui exposer mon cas et lui demander si elle serait disposée à m’accueillir. Dis-moi donc ce que tu penses de cette idée. Pour entrer quelque part, il me faudrait évidemment une recommandation. J’ai parlé de ce projet à Mr. Wol. l’autre jour, mais lui aussi, il trouve toujours ma nationalité gênante dans tout ce que je pourrais entreprendre, quoiqu’il soit convaincu que cela ne devrait pas être ainsi… Mais voici encore une preuve comme ma situation est hargneuse: Mme Diet m’a rapporté ce matin un rideau que je lui avais prêté en Mars dernier et que je lui avais réclamé depuis deux fois par lettre. Elle s’excusait abondamment qu’elle avait eu des ennuis avec la Police à cause de ses visites chez moi, que son mari également a dû venir chez le Commissaire pour s’expliquer, qu’à la suite de cela probablement il a dû quitter Bordeaux, qu’en conséquence je devrais l’excuser, etc etc…
Alors, comment ne pas se désoler de plus en plus et toujours de nouveau? C’est sûrement très beau d’être martyr, mais il faut être né pour cela. Je ne le suis pas, et si je l’étais j’aurais mieux choisi une meilleure cause pour me sacrifier.
Je souffre et je secoue mes chaînes. Et toujours de nouveau je me trouve - et nous tous - pris comme dans un élan, qui au moindre mouvement en travers de notre part, semble prêt à nous broyer. Que cet affreux cauchemar ne trouve pas de fin aussi - c’est extraordinaire.
(La fin de la lettre est perdue.)
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