En guise d'introduction: Paul
Paul vers 1900 |
Paul Gusdorf naquit le 3 avril 1882 à Bisperode, gros bourg situé au coeur de l’Allemagne, à peu près à égale distance d’Amsterdam et de Berlin. Hanovre est la ville la plus proche, mais le bourg était administrativement rattaché au Duché de Braunschweig. Il comptait alors un millier d’habitants. D’après le témoignage, datant des années 1980, du seul survivant du côté allemand de la famille, les parents de Paul, implantés depuis longtemps dans la région, possédaient des terres, et son père Theodor Gusdorf était marchand de grain itinérant. La même source décrit un intérêt familial pour les arts, la musique et le chant en particulier, et signale l’existence d’ancêtres rabbins. Paul a deux frères, Adolf et Siegmund (!!!) et une soeur, Ida.
Il fait ses études à la célèbre Samson Schule de Wolfenbüttel, fondée en 1786, qui fonctionna jusqu‘en 1928. École juive à l’origine, elle pratiquait un enseignement moderne pour préparer ses élèves aux professions du commerce et de l’artisanat, et accueillait également des non-juifs. Quand Paul en sort en 1898, c’est pour entrer comme « correspondent » chez « S.D. Blank, Manufaktur-Waren en gros », société de négoce en tissus basée à Braunschweig, où il passe trois ans.
C’est à cette époque qu’il rencontre chez un de ses clients, dans des circonstances pleines de poésie qu’il racontera dans une lettre, une certaine Marthe Sturm.
De 1902 à 1905, il est « Buchhalter und Correspondant » à Hanovre chez M. Molling & Co. Celui-ci lui délivre un certificat où il le décrit comme « un homme de confiance, intelligent, et toujours sur la brèche». Il travaille ensuite de 1905 à 1907 à Mulhouse, alors allemande, pour la société Benjamin Hauser.
Outre ses activités professionnelles, il s’adonne à la littérature: le Sonntagsblatt de Braunschweig publie en 1901 un poème signé Paul Gusdorf, « Friedshofruhe », ou « Le calme du cimetière », et le numéro de mai 1904 de la Westfällische Revue contient un texte de lui, « Vom grauen Alltag », quelque chose comme « Le gris quotidien ».
Entretemps, ses parents sont morts, Theodor à une date inconnue, Minna, née Rosenstein, en mai 1904. Dans les papiers familiaux, une quittance montre que Paul a touché après ce décès la somme de 10700 marks - une fortune. Pour ce jeune homme ambitieux et entreprenant, c’est la liberté. Ce qu’il appelle “le système allemand” lui pèse ; il est attiré par la France, dont il aime la culture et parle couramment la langue; en 1907 il quitte l’Allemagne et s’installe à Nantes, où il travaille pour la maison L. Leconte et Compagnie, “expéditions, échantillonnage, analyse de marchandises et toutes opérations relatives au chargement, déchargement de navires et transport par mer”. En 1908, Paul rejoint le bureau de Bordeaux; en 1909, il s’associe avec Lucien Leconte et Jean Penhoat pour former une société au capital de 100000 francs, 40000 versés par Leconte et 30000 par chacun des deux autres associés. En 1908 aussi, après huit ans d’une relation en bonne partie épistolaire, il épouse enfin Marthe, qui le rejoint à Bordeaux.
En 1914, le voici père de trois enfants: Suzanne, née en 1909, Georges, le futur philosophe, né en 1912, et la petite Alice. La famille est bourgeoisement installé à Caudéran, rue des Chalets; Paul est à la tête d’un confortable et éclectique portefeuille d’actions et d’obligations, et il a fait son trou, non sans peut-être piétiner quelques orteils, dans le petit monde du commerce bordelais. Il achète du charbon et le revend, notamment à EDF pour ses centrales; il voyage beaucoup, en Angleterre, en Écosse, au pays de Galles…
Il est toujours, hélas, encombré de sa “maudite nationalité allemande”. Et c’est au mois d’août de cette année-là que les ennuis vont commencer...
Anne-Lise Volmer-Gusdorf, août 2014
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